Une
histoire de sceaux de Salomon
Que sont les sceaux de Salomon ?
À propos des couleurs
Découverte d'une "spécialité locale"
Puis d'une deuxième
Différences et points communs
Que sont
les sceaux de Salomon ?
Les sceaux de Salomon doivent
leur nom à la marque laissée annuellement sur
leur rhizome après la disparition de la tige de
la saison. Ce sont des plantes propres aux régions
tempérées de l'hémisphère
nord qui appartiennent à la famille
des Liliaceae.
Au premier abord, les sceaux de Salomon
ressemblent au muguet bien que le plupart
du temps en
plus grand. Ils ont également des fleurs en clochettes mais
beaucoup plus allongées et étroites, et plutôt que d'émerger
en grappe au sommet de la tige celles-ci, la plupart du temps pendent par petits
groupes à l'aisselle des feuilles alternant le long d'une tige arquée.
Certaines espèces telles que le sceau de Salomon odorant
(Polygonatum odoratum), rare en Belgique et
appréciant la chaleur en sols calcaires, ont des fleurs parfumées.
Les fruits des sceaux de Salomon sont des baies en général d'un
bleu foncé noirâtre.
Le sceau de Salomon commun (Polygonatum multiflorum),
espèce la plus répandue en Belgique y croît souvent dans
des lieux frais ou humides à proximité d'autres espèces
de la même famille : la parisette (Paris
quadrifolia), l'ail des ours (Allium
ursinum) et parfois non loin dans un humus plus léger à des
emplacements un peu plus drainés, le muguet (Convallaria
majalis) voire le maianthème à deux feuilles
(Maianthemum
bifolium). P. multiflorum ou des espèces très
proches se retrouvent jusqu'au Japon.
On trouve également en Belgique, en particulier en Ardennes, le plus
souvent dans les hêtraies sur sols acides, une troisième espèce
: le sceau de Salomon verticillé (Polygonatum verticillatum), qui produit des
feuilles très étroites rapprochées presqu'en
verticilles comme celles des gaillets.
À propos
des couleurs
Dans la famille des Liliaceae comme pratiquement dans
toutes les familles, certaines espèces peuvent occasionnellement voir la couleur de leurs
fleurs ou même de leur feuillage varier par rapport à la normale
(fleurs roses au lieu de généralement blanches chez le muguet,
fleurs roses au lieu de blanches et feuillage bronzé sombre chez le
sceau de Salomon à feuilles verticillées, P.
verticillatum).
Découverte
d'une "spécialité locale"
À la fin des années 1970, parcourant les bois de la commune de
Chaumont-Gistoux à la recherche de nouvelles plantes sauvages à introduire
en culture pour les observer, je suis intrigué par deux touffes de P.
multiflorum très différentes des autres croissant à proximité dans
la même vallée. Les plantes sont beaucoup plus vigoureuses, plus
dressées. Alors que leurs congénères ont déjà étalé leurs
feuilles, elles sont déjà bien plus hautes et seulement l'extrémité de
celles-ci commence à se dérouler élégamment. Mais
surtout, l'ensemble est visible de loin à cause de sa teinte pourprée,
la face supérieure des limbes foliaires occupés à se dérouler
montrant de très beaux reflets d'un bronze métallique. L'art nouveau,
des débuts du XXe siècle et l'oeuvre de l'architecte Victor Horta
me viennent directement à l'esprit. Je passe un temps interminable à démêler
l'enchevêtrement des herbes mouillées, puis à dégager
l'argile collante au moyen de mon petit transplantoir, avec les précautions
d'un archéologue sur un champ de fouilles. Puis je prélève,
...respectueusement car vivement impressionné (et le coeur battant) et
surtout soucieux de préserver la singularité génétique
des lieux, un petit morceau de rhizome pourvu de racines et d'une modeste tige
florifère. Jusqu'à l'année suivante je me demanderai si
le phénomène de ce port et de cette coloration se reproduiront
dans mon jardin aux conditions très différentes (sol sablonneux
et pauvre bien qu'ombragé et relativement frais). Ce sera le cas, ainsi
que toutes les années qui suivront jusqu'à maintenant
!
Puis
d'une deuxième
Haute taille et croissance tardive, apparemment liées, s'ajoutent à une
coloration prononcée pour différencier la variété qui
précède. Il est aussi vrai que dans certains cas la vigueur et
la présence ou non de certains pigments peuvent être liées à leur
tour. Dans le cas qui va suivre toutefois, c'est la différenciation
morphologique qui est remarquable.
L'année qui suit ma découverte du sceau de Salomon "bronzé",
je tente de repérer les variations de l'espèce dans les environs,
ce qui me permet de constater que cette coloration est bien une tendance de
la vallée et qu'elle s'xprime avec plus ou moins d'intensité chez
d'autres individus. Je retrouve d'ailleurs une plante apparemment semblable à plusieurs
centaines de mètres des deux premières ; fort probablement un
clone différent donc !
Mais vu la richesse floristique de la vallée, je ne me borne pas aux
investigations concernant cette espèce. Dans l'un de ses tronçons
les plus encaissés, le chemin très dégradé et raviné est
bordé par deux falaises d'argile de plusieurs mètres de haut.
Une coulée à gibier empruntant un effondrement d'une des falaises
me permet de grimper hors du chemin ; j'ai l'intention de reconnaître
la flore d'une zone apparemment plus sèche car mieux drainée
et orientée au soleil de midi. Surprise inversément proportionnelle à la
taille de la découverte, au moment de déboucher hors de la coulée, à quelques
mètres sur une légère pente un tapis d'un demi mètre
carré d'un sceau de Salomon nain me fait me précipiter !!! À peine
plus haut que du muguet, celui-là est bien vert (assez clair même),
il est plus hâtif que l'espèce, au contraire du bronzé et
la combinaison de ses tiges très arquées, presqu'étalées
et flexueuses (ce qui en botanique signifie en zig-zag par changement de direction à chaque
noeud), de ses entrenoeuds courts et de ses feuilles presque tout à fait
rondes le transforme en couvre-sol ! Alors que la vigueur du "bronzé" lui
fait porter ses fleurs par une ou deux paires de plus que la normale à l'aisselle
de chaque feuille, ici elles sont toujours par deux, donc au mois une paire
de moins que l'espèce. Vu qu'elles sont solitaires ou par deux également
chez P. odoratum qui est une plante plutôt
fluette, je vérifie l'odeur des fleurs
mais il n'y en a aucune, et les tiges sont
bien cylindriques
comme
chez P. multiflorum et non anguleuses comme chez P.
odoratum. Je crois détecter des semis ayant les mêmes caractéristiques
autour de la plante, mais ce que je découvre en creusant me détourne
de cette idée. Habituellement les rhizomes des Polygonatums ont une épaisseur
d'environ un centimètre ou un peu moins, sont à peine renflés à l'insertion
des tiges et se subdivisent selon un angle plutôt fermé. Ici,
j'ai affaire à un enchevêtrement de rhizomes partant dans toutes
les directions, beaucoup plus souples, à peine
plus gros que des spaghetti et se dilatant
brusquement au niveau
de chaque
tige
en une
petite boule variant
entre la taille du petit pois et celle de
la noisette !!!
Différences
et points communs
Distantes de quelques centaines de mètres, les deux variantes font partie
d'une même population de Polygonatum et vivent au milieu de formes
plus communes de l'espèce, même si dans les deux cas on peut trouver
des plantes aux caractères intermédiaires. Les intermédiaires
avec la forme naine se cantonnent toutefois plutôt à proximité de
celle-ci alors que les intermédiaires avec la "bronzée" se retrouvent
dans toute la vallée. Cette pigmentation est aussi présente ailleurs
en Brabant et il serait intéressant de vérifier si elle peut
atteindre une telle intensité ailleurs. La forme naine est par conséquent
plus atypique. On aurait aussi plutôt l'impression que les deux formes
divergent en sens inverse par rapport à la norme, et donc peut-être
leurs variations dépendent-elles du même gène
?
Au niveau de leurs environnements respectifs,
la bronzée fréquente
les lieux les plus riches et les plus humides, tandis que la naine occupe un
petit territoire bien drainé sur un replat en lisière au pied
d'une pente exposée au sud-sud-ouest (donc plus chaude) et aussi dans
un sol apparemment plus léger
bien que toujours argileux.
Les deux variantes conservent leurs caractéristiques en culture si elles
sont multipliées par division.
Je n'ai jamais eu l'occasion d'observer
leur
descendance
par semis.
Même considérée comme "bien connue", la flore d'une région
reste toujours quelque chose de vivant, de sujet à des variations individuelles
parfois importantes qui peuvent faire tache au sein des populations. Qui n'a
pas constaté qu'ici les anémones des bois étaient teintées
de pourpre à l'arrière des pétales alors que là-bas
elles étaient toutes blanches ? Tout ne s'explique pas par des interactions
immuables entre les plantes (ou les autres organismes) et leur environnement,
mais plutôt par l'évolution des interactions entre des protagonistes
eux-mêmes en transformation continue.
ivan
louette, mis en ligne le 26 février 2004
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