Ward
Sebba'auy (1°), ancêtre
des
rosiers Bourbon
Quelques indices de plus de l'ancienneté de
ce groupe
Les
livres d'histoire, c'est bien connu, nous content souvent
des "histoires", et ceux d'histoire des roses ne
font pas exception. Comme souvent, l'"européo
ou occidentalo-centrisme" des
premières
relations de la découverte des ancêtres des
roses Bourbon laisse rêveur !
English
summary
La
rose Bourbon
'Rose Édouard' ou 'Rose Edward'
La rose 'Sebba'auy' d'après Gunnar Täckholm
La rose 'Sebba'auy' dans l'herbier Crépin
Les roses de Chine et du Laos dans l'herbier du Muséum de paris
Les roses japonaises de J. Matsumura dans l'herbier Crépin
Conclusion
Les entités horticoles et botaniques impliquées dans la genèse
des roses Bourbon
Notes
Remerciements
La rose Bourbon
À n'en
pas douter, la filière qui donna naissance en France
au groupe que l'on nomma roses Bourbon débute
sur l'Île Bourbon (actuellement île de la Réunion)
dans le jardin de Monsieur Édouard Perrichon. Que la rose
originelle de ce groupe y aie été découverte
par
Monsieur Perrichon
lui-même ou, dès son arrivée en 1817 par Bréon, botaniste
français en charge du jardin botanique
de l'Île Bourbon est moins clair (mais peut-être
sans importance). Au début des années 1820, d'une part
Neumann en importa des
boutures en France, qui furent nommées 'Rose Neumann'
ou 'Bengale Neumann', et Bréon en envoya des graines à
Jacques,
jardinier du Duc d'Orléans, c'est un semis (de deuxième
génération ?) de l'une de ces dernières qui fut
illustré par Redouté et que Thory nomma Rosa canina Burboniana dans
Les Roses, avec comme précision supplémentaire qu'il lui avait été
rapporté par le Duc d'Orléans que la rose croissait dans
les lieux incultes de l'Île Bourbon.
Bréon interpréta la rose trouvée
dans le jardin de M. Perrichon comme un hybride entre
la rose
de Damas des quatre saisons, R. x damascena var.
semperflorens (Loisel) Rowley
et la rose
de Chine , R. chinensis Jacq.,
toutes deux cultivées
en abondance sous forme de haies ou de bordures décoratives
sur l'Île Bourbon. Si la génétique
tend à corroborer
cette
interprétation,
rien
ne prouve
que
comme certains l'ont avancé cette hybridation
s'est produite
sur place. La présence de la rose originelle dans
des lieux incultes, peut-être simplement abandonnés
serait peut-être plus en accord avec ce qui suit.
'Rose Édouard'
ou 'Rose Edward'
Une certaine
confusion règne en ce qui concerne l'identité et
l'origine de l'appellation de cette variété.
Provient-elle du prénom
d'Édouard
Perrichon, dans le jardin de qui Bréon préleva
du matériel
qu'il envoya en France ? S'agit-il de la même rose
que celle de Perrichon ? Qui a rapporté le premier
cette appellation ? Qu'est-ce qui explique que cette appellation
soit répandue
en Inde ?
Dans
son livre Roses at the Cape of Good
Hope, Gwen
Fagan relate les propos du
Dr. B. P. Pal, fondateur de l'Indian Society of Genetics
and Plant Breeding selon qui des roses portant
ce nom avaient été cultivées
autrefois à
grande échelle en Inde pour la production de produits
parfumés
au même titre que les roses de Damas. Selon Pal encore,
cette culture était en régression. Par la
suite elles ont également été
utilisées comme porte-greffes, mais leur sensibilité aux
maladies fongiques les a fait abandonner progressivement.
Les
mêmes roses sont cependant toujours
utilisées
en Inde pour
l'ornementation des temples. Odile Masquelier, de roseraie
de La Bonne Maison, à La Mulatière, près
de Lyon m'a précisé que deux
roses légèrement différentes par leur
couleur y étaient
utilisées à cet usage. Gwen Fagan précise
également qu'il existe bien deux 'Rose Edward' en
Inde, l'une formant un arbuste un peu plus haut que
l'autre. Elle recense 'Rose Edward' et
la photographie aux Seychelles, à l'Île
Maurice, au jardin de Patraia près de Florence (Italie)
et bien entendu en Afrique du sud.
Intéressé par
toutes ces questions, j'ai acquis chez Peter Beales en
Angleterre il y a une douzaine d'années deux plants
d'une variété portant le nom de 'Rose Edward',
qui lui venait indirectement du Jardin botanique de Calcutta
via
la Nouvelle-Zélande.
Malgré une apparente inadaptation à certaines
conditions de culture ou de micro-climat (elle a néanmoins
résisté
à des gelées de -15°C), la variété a
pu exprimer ses principaux caractères distinctifs. En
végétation, si on la compare à R.
chinensis 'Old Blush', 'Rose Edward' a des tiges moins
ramifiées,
plus grosses, plus raides
et se lignifiant moins facilement, ainsi que plus de rondeurs
au niveau de la fleur et du feuillage .
Mis à part
ses inflorescences plutôt fournies
et ses fleurs plus petites (la taille de celles de 'Old blush'),
elle se rapproche par son
port des plus raides parmi les hybrides remontants ou les hybrides
de thé.
Dans de bonnes conditions elle produit facilement
des fruits contenant
de
nombreuses graines.
Si la
qualité du parfum de la rose de Perrichon et Bréon
n'est jamais évoquée dans la littérature,
cela atteste seulement du fait que le XIXe siècle en
Europe privilégia
le côté esthétique de la rose (2°).
En ce qui concerne 'Rose Edward', le rapport de Pal cité plus
haut l'intègre à la même
tradition d'origine arabo-persane (et peut-être introduite
en Inde par les Moghols) que les roses de Damas, cultivées
pour leur parfum et toute sa symbolique (de purification, etc.).
Celui de la 'Rose Edward' de Peter Beales a un caractère
fruité "raisin-litchi" (le
fruité est son côté chinensis), plus pénétrant
que le meilleur des Gewürztraminer
de grains nobles, infiniment plus frais que celui des roses
de Damas. Seule la variété 'Omar Khayyam'
peut rivaliser avec lui, bien que dans un registre plus "Damas" et
plus chaud. Ici en Belgique médiane
sous climat frais et humide il est rare que la fleur de
'Rose Edward' puisse s'ouvrir
proprement
en raison des attaques fréquentes de botrytis qu'elle
subit (une analogie de plus avec la "pourriture noble" qui
concentre les arômes des vins de Sauternes et des
grands Gewürztraminer). Cela n'empêche pas
ses pétales même "pourris" d'exhaler
leur fabuleux parfum, pour mon goût de très
loin le meilleur de tous !!!
La
rose 'Sebba'auy' d'après Gunnar Täckholm
Täckholm
fut l'un des pionniers de la génétique des
roses. On lui doit entre autres "On the cytology
of the genus Rosa. Sv. Bot. Tidskr. 14: 300-311, (1920)".
L'article dont un extrait est traduit ci-dessous fut l'une
de ses
dernières contributions à l'étude
du genre Rosa. C'est un texte d'une rare acuité tant
du point de vue de la systématique
que du point de vue historique. Les spécimens d'herbier
des différentes roses récoltées par Georg
Schweinfürth et examinées
par Täckholm
pour cette étude étaient
conservés
dans l'herbier du Botanisches Museum Berlin-Dahlem et ont
malheureusement été détruits lors
du bombardement de Berlin par les Alliés
en 1943. Heureusement des doubles de certains d'entre eux
avaient été envoyés à François
Crépin par Georg Schweinfürth
(3°) et j'ai donc
pu avoir en mains un spécimen de sa
rose 'Sebba'auy'.
Traduction
de la partie consacrée à Rosa Sebba'auy
dans G. Täckholm, The
Egyptian Garden Roses
in Schweinfürth's Herbarium, Svensk
Botanisk Tidskrift. 1932.
Bd. 26, H. 1-2.
"...
Tous les spécimens égyptiens concernés
dans ce qui suit sous le nom de R. damascena sont de nature
hybride et contiennent des caractères de R. gallica.
Ils sont à considérer comme des roses de
Damas selon les descriptions des travaux les meilleurs
et les plus critiques de la littérature rhodologique.
La plupart de ces spécimens de type damascena sont étiquetés
du nom arabe ward sebba'auy et ils sont généralement
très semblables entre eux. Voici une description
de ce type (fig. 2).
Ward
Sebba'auy. (Fig.
2.) -
Tiges vertes, droites et dans la plupart des cas non ramifiées;
aiguillons épars,
comprimés latéralement, de forme triangulaire
avec une extrémité droite ou légèrement
recourbée; soies présentes seulement dans
les inflorescences; folioles par 5 - 7, ovales à elliptiques,
foliole terminale ovale, courtement acuminées, longues
de 5 - 6 cm et larges de 3 1/2 - 4 cm; folioles latérales
habituellement ovales-ellpitques, aigües; feuilles
d'une texture plutôt mince, glabres en dessus, vert
pâle et glabres en dessous, glabres ou à la
nervure médiane
légèrement pubescente; les latérales
peu prononcées; dents simples ou un peu doubles;
rachis munis de glandes courtement pédicellées,
glabres ou parsemés de poils très courts
et munis de petits aiguillons épars; stipules étroites
portant de courtes oreillettes divergentes à la
marge glanduleuse; inflorescences en riches corymbes pouvant
atteindre vingt fleurs; pédicelles minces, densément
glanduleux et couverts de soies raides, habituellement
sans poils, se développant progressivement en réceptacles
fusiformes glanduleux dans le bas, habituellement glabres
dans le haut; sépales glanduleux, les internes entiers,
les externes pinnatifides; sépales réfléchis
durant la floraison; corolle double, probablement d'un
rose foncé; styles libres, longs de 7 mm, villeux;
fruit étroitement obovoïde, long de 2 - 2 1/2
cm, glabres.
La
rose 'Sebba'auy' ressemble beaucoup au spécimen illustré dans
Redouté et Thory (1817 - 24) comme R. bifera et
que Thory, l'auteur du texte de ce magnifique ouvrage illustré sur
les roses considère (p. 109) comme une espèce
bien distinguable de damascena par ses fruits fusiformes,
non rétrécis brusquement à chaque
bout comme chez damascena. La rose 'Sebba,auy' diffère
des illustrations mentionnées ci-dessus par ses
grands aiguillons larges et applatis. Elle diffère également
des descriptions dans la litérature récente
par ces aiguillons qui ne sont pas crochus, par l'absence
de soies entre les aiguillons et par ses folioles habituellement
par 7 qui sont glabres en dessous excepté sur la
nervure médiane. Il semble évident que Schweinfürth
hésitait en ce qui concerne la nature de cette rose.
Les étiquettes montrent qu'il a sollicité l'opinion
de trois grandes autorités : à savoir le fameux
horticulteur et spécialiste des roses français
Cochet-Cochet, le dendrologue allemand Koehne et le Maître ès
roses belge Crépin. Les deux premières autorités
ont considéré la rose 'Sebba'auy' comme un R.
damascena, mais Crépin l'a étiquetée comme
une variété de R. indica (= R. chinensis). Ces
deux opinions différentes peuvent cependant être
combinées. Donc, comme je le mentionnais auparavant,
les anciennes formes de damascena furent largement remplacées
durant le 19e siècle par les Damas perpétuels,
obtenus par croisement avec R. chinensis. La rose 'Sebba'auy'
est probablement aussi une sorte de Damas perpétuel.
Il faut savoir que les spécimens fleuris collectés
sont datés de décembre à mai, et qu'un
spécimen, collecté le 10 mai porte encore de
jeunes boutons floraux. Dans un cas on trouve même des
boutons, des fleurs et des fruits jeunes et mûrs sur
la même planche d'herbier. Avant l'introduction de R.
chinensis, il n'existait pas de roses à floraison réellement
perpétuelle dans les jardins européens. Les seules
exceptions étaient certaines races de damascena, par
exemple R. omnium calendarum, qui néanmoins, uniquement
moyennant une taille artificielle étaient forcés
de prolonger leur saison de floraison. Je n'oserais pas affirmer
que la rose 'Sebba'auy' n'était pas traitée de
cette manière, mais selon mon opinion nous avons là un
Damas perpétuel, issu d'un croisement entre un ancien
damascena de type bifera (au sens de Thory) et R. chinensis.
Sur certaines étiquettes, Schweinfürth a nommé cette
rose R. damascena var. sebba'aui Sfth. in "Arabische Pflanzennamen
aus Ägypten, Algerien und Jemen" (1912), le même
auteur lui a donné le nom latin de R. damascena v. corymbosa,
sans description néanmoins. Je n'ai été à même
de trouver cette description nulle part ailleurs dans ses publications.
Dans Redouté & Thory, une variété nommée
v. corymbosa est mentionnée sous R. damascena, mais
comme elle se réfère à R. damascena et
non à R. bifera, elle doit avoir des fruits ovoïdes
et non infundibuliformes comme chez la rose 'Sebba'auy'.
Le spécimen représenté dans cet article a été prélevé au
monastère copte d'Abbassia, au Caire en mai 1888. Ce spécimen est étiqueté par
Schweinfürth R. damascena et sur le même figure une annotation de
Koehne qui l'attribue à la même espèce, tandis que Crépin
le considère comme une variété du R. indica. D'autres spécimens
typiques de 'Sebba'auy' proviennent des jardins suivants: Jardin de Sheikh Abu
Khaluf, s. de Medinet-el-Fayum, avril 1888; Abbadia Musturat, n. du Caire, avril
1888; ancien jardin du Palais Ali Pasha Sherif, avril 1888 et décembre
1901; ancien jardin de Mohammed Bey Omar à Shubra (jardin de "Kumpania"),
le Caire, mai 1897; Alexandrie 1902; Luxor, décembre 1909.
L'existence de cette rose dans les anciens jardins
déjà en 1888, dont par exemple le monastère copte d'Abbassia
indique qu'elle a été cultivée en Égypte longtemps
avant le début du 19e siècle pour ce qui selon mon opinion est
un hybride de R. chinensis. Les croisements entre la rose de Chine et les anciennes
roses européennes, dont les roses de Damas, débutèrent durant
ce siècle.
Le conservateur de l'herbier de l'Université égyptienne, M. Hassib,
B. Sc., m'a apporté des renseignements concernant la culture de 'Sebba'auy'
dans les jardins du Caire. Selon lui, il était autrefois cultivé en
abondance mais il a disparu au moins des jardins importants. Son nom arabe est
néanmoins rarement connu des jardiniers du Caire ..."
La
rose 'Sebba'auy' dans l'herbier Crépin
L'examen
par Gunnar Täckholm d'herbiers récoltés
par Georg
Schweinfürth ne pouvait qu'apporter un mélange
détonnant d'informations historico-botaniques !
Le
spécimen
de l'herbier Crépin est étiqueté "Früchtgarten
of Qubba, Cairo, 25 April 88". Cette localisation
n'est pas recensée dans l'article de G. Täckholm.
Son
inflorescence bien qu'incomplète montre cinq
boutons et une fleur ouverte situés à peu
près
dans un même plan horizontal. Ses aiguillons sont
forts, relativement compressés, dispersés
et non entremêlés
de soies ou d'acicules, ce qui fait incontestablement
penser aux Chinenses. La terminaison des sépales
est à tendance
nettement foliacée et les folioles sont glabres
de part et d'autre, de même que le rachis. Pédicelles,
réceptacles
et sépales portent de nombreuses glandes pédicellées
entremêlées
de soies raides, comme chez les Damas. Les sépales
sont denticulés
et légèrement glanduleux, comme chez le R.
chinensis cultivé.
Par l'ensemble de ses détails cette rose est très
semblable
à la Rose Edward de Peter beales. Seule la structure
de l'inflorescence semble pouvoir les différencier.
Cependant, chez les roses de Damas, leurs ancêtres,
une différence
analogue existe (4°)
entre d'une part le type de 'Kazanlik' aux inflorescences
amples parce que leurs
ramifications
sont
portées par
de longs pédoncules secondaires flexueux, et d'autre
part les Quatre Saisons aux inflorescences compactes
dont les ramifications sont portées
par de courts pédoncules secondaires peu divergents.
Toutefois, si ces différences morphologiques différendient
également les formes non remontantes des remontantes
chez les Damas, cela ne semble pas être le cas
chez les Pré-Bourbons, puisque tant 'Rose Edward'
que 'Sebba'auy' sont remontantes. Et contrairement aux
inflorescences
des Damas non remontants, l'axe principal de celles de
'Sebba'auy'
n'est pas flexueux.
Les
roses de Chine et du Laos
dans l'herbier du Muséum
de Paris
Dans
les reportages ou sur les photos, les cheveux tirés
en arrière de la très
belle Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix birmane,
sont fort
souvent rassemblés par un lien orné de roses,
et en particulier me semble-t-il de
roses ressemblant aux premières roses
Bourbon (il suffit d'entrer le nom d'Aung San Suu Kyi dans
un moteur de recherche en demandant à voir des images
pour s'en donner une idée).
La péninsule indochinoise
a de tous temps joué un
rôle
très important comme plate-forme d'échanges
entre l'extrême-orient
d'une part, l'Inde, la Perse, l'Arabie et même l'Afrique
d'autre part, donc il ne serait pas surprenant d'y trouver
des formes proches de 'Sebba'auy'.
Le spécimen
étiqueté C.
Dupuy, Plantes de Luang-Prabang (Laos) daté de
1899/1900 et celui
de Chine de l'herbier Drake ,
annoté Richard,
legit Iwan, présentent eux aussi une association des
caractères
Chine (plutôt du côté des rosiers thés)
et Damas. Le bouton plus rond (visible
sur sur le spécimen du Laos )
possède
les extrémités foliacées des sépales
typiques des chinensis; les deux ont le pédicelle
couvert de glandes pédicellées;
les feuilles de celui du Laos ont un caractère plus "thé"
tandis que celles du chinois sont plus de style Damas (bien
que Crépin l'interprète comme une variété de R.
indica, comme
'Sebba'auy'). Leurs inflorescences compactes et apparemment
peu fournies les placent entre les Bourbon et les premiers
hybrides de Portland, mais avec des feuillages à l'aspect
peut-être plus primitif et des aiguillons moins dilatés à la
base et un peu plus crochus.
Les
roses japonaises de J. Matsumura
dans l'herbier Crépin
Jinzo
Matsumura (1856-1928) fut professeur de botanique systématique
à l'université de Tokyo. Sa contribution
dans les années 1880-90 aux roses japonaises tant
spontanées que
cultivées de l'herbier Crépin est importante à la
fois du point de
vue
de la qualité
et
de
la quantité. Parmi les horticoles (qui comprennent
comme on pouvait s'y attendre des variétés
ou hybrides de R. multiflora Thunb.), les plus intrigantes
sont celles que Crépin à classées
dans une rubrique R. indica x gallica.
C'est
qu'il ne faut pas oublier que la carrière de J. Matsumura
se déroula
à l'Ère Meiji (1868 à 1912), durant
laquelle le Japon s'ouvrit au monde et se mit à pratiquer
de nombreux échanges industriels
et culturels avec l'Europe. À cette époque
on vit arriver chez nous des roses japonaises telles que
l'hybride R.
multiflora x luciae que les Anglais baptisèrent
'Crimson Rambler', mais on manque d'indications sur les roses
européennes
qui atteignirent le Japon.
- La
rose 'Ichijoko' (son
nom pourrait être traduit comme "rayon de
lumière
rouge") dont deux spécimens
sont présent
dans l'herbier Crépin a de
grandes fleurs dont l'arrangement des pétales
rappelle les Camellias .
Ses folioles
largement elliptiques à ovales, à l'extrémité atténuée en
courte pointe rappellent celles du R.
chinensis var. spontanea d'Augustine Henry ,
mais leurs dents plus aigües et les pretites
folioles obovales à la base des rameaux florifères
ou sur de petits
rameaux
stériles la rapprochent de R. multiflora.
Stipules étroites
et adnées, aux marges entières comme
chez R.
chinensis var. spontanea .
Ses sépales
à appendices étroits légèrement
glanduleux font
penser à
ceux
de R.
multiflora var. cathayensis Dents souvent
doubles aux folioles, acicules mêlés aux
aiguillons rappellent R. gallica, ...mais
d'une part certaines roses extrême-orientales
du groupes des multiflores (R. maximowicziana,
...) portent des acicules nombreux et
irrégulièrement placés, et d'autre
part une influence de R. rugosa n'est pas à exclure.
Ses pédicelles, eux semblent
lisses contrairement à ceux d"'Edward'/'Sebba'auy'".
Y a-t-il réellement du R. gallica dans
cette rose dont les pétales translucides comme ceux
des roses thé ont gardé
pas mal de couleur ? Mon diagnostic irait plutôt
vers une rose aux gènes d'origine très orientale.
D'après Yuki Mikanagi,
"Ko" ou "Kou" signifie vermillion en
japonais, ce qui laisserait supposer une nuance de jaune
dans le rouge qui sied aux
roses thé, mais pas aux Bourbon ou aux roses anciennes.
Autre solution pour la couleur, une hybridation japonaise
à l'Ère Meiji entre R. foetida (ce que les
dents, la forme et la couleur des folioles ne rendrait
pas invraisemblable)
et une rose thé, ce qui, en 1896 précéderait
de quatre ans 'Soleil d'Or' ! On peut rêver !!!
- Pas
de nom sur le
spécimen de la seconde
variété .
Si le premier semblait sarmenteux, celui-ci pourrait être
arbustif. Deux différences
significatives : ses stipules sont larges et longuement
adnées,
pectinées à laciniées, et ses
pédicelles sont munis de glandes
pédicellées et d'acicules. Pour le
reste, ici on distingue bien les bractées
qui sont larges
et denticulées
glanduleuses et
le bouton très arrondi muni de plusieurs
paires d'appendices. L'ensemble, en ce compris la
forme des folioles fait penser à la vieille
rose 'Russelliana', que certains identifient comme
très proche de
la R. multiflora var platyphylla de Redouté & Thory.
- L'aspect
général des rameaux et du feuillage
de la
troisième variété est
bien plus proche de R.
gallica. Il se pourrait qu'il s'agisse
de la variété 'Shigyoku' (photo
et © Yuki
Mikanagi), dont le nom signifie "gemme pourpre",
apparemment créée au Japon durant
l'Ère Meiji peut-être
par
semis
hybridé
ou non
d'une rose d'origine européenne. Les fleurs
de cette belle variété morphologiquement
intermédiaire
entre les roses galliques et les Bourbon ont des
pétales ondulés, presque frisés
qui ne sont pas sans rappeler les chrysanthèmes.
Est-ce un hasard ou un choix de goût qu'un
obtenteur japonais aurait fait par référence à demi-consciente
avec ces fleurs bien extrême-orientales ?
Conclusion
Deux
Rose Edward différentes cultivées de haute
tradition en Inde, une rose 'Sebba'auy' cultivée
depuis sans doute aussi longtemps en Égypte, des
roses semblant mêler les mêmes
caractères hybrides selon des modalités diverses
en Chine et au Laos, des roses cultivées au Japon
et mêlant
des caractères botaniques galliques à d'autres
chinois et même peut-être japonais. Pourquoi
vouloir à tout
prix se conformer à une
histoire des roses Bourbon finalement bien étriquée
alors que de nombreux siècles d'activités et
d'échanges
humains au travers de l'Océan indien entre l'extrême-orient
et le Maghreb ont donné tant d'occasions aux parentes
de ces roses de se rencontrer. Différentes roses
analogues aux Bourbons existaient probablement bien avant
que les Européens ne commercent dans
ces régions et ne colonisent les îles Mascareignes
ou Seychelles. Et elles se sont probablement déjà ré-hybridées
avec des roses telles que R. moschata ou les R.
multiflora chinois
pour donner des pré-Noisette au moins en Perse alors
qu'il apparaissait très tôt des pré-polyanthas
en Chine.
La rose 'Sebba'auy' n'est pas un Bourbon classique : des
inflorescences aussi riches ne sont qu'occasionnelles chez
les Bourbons,
qui ont en même temps souvent des fleurs plus grosses.
C'est d'ailleurs la petitesse relative de ces fleurs combinée à
la longueur des pédicelles et des pédoncules
secondaires de l'inflorescence (5°)
qui permettent à l'ensemble
des fleurs de s'ouvrir. Il est probable qu'en voulant sélectionner
avant tout de grosses fleurs les hybrideurs européens
ont dans un premier temps privilégié le caractère
uniflore et à pédicelle court des Chinenses au
détriment de la ramification et du caractère
plus aéré que les gènes
de R. multiflora et R. moschata présents également
dans les ancêtres des Bourbons auraient pu leur apporter.
De ce point de vue, 'Sebba'auy' représentait un optimum.
Les
entités
horticoles et botaniques impliquées
dans la genèse
des roses Bourbon.
Si l'on
considère les roses Bourbon comme étant issues
de croisements entre la
rose de Chine cultivée (R. chinensis Jacq.)
et les roses de Damas (R. damascena Mill.), la
dernière hypothèse
pour leur généalogie est la suivante
:
(R.
multiflora var. cathayensis x R. sp. aff. chinensis
var. spontanea) x ((R. moschata x R. gallica)
x R.
fedtschenkoana (6°))
Les
différentes
sections du genre impliquées dans ces hybrides
complexes sont les Synstylae (R. moschata, R.
multiflora var. cathayensis), les Gallicanae (R.
gallica), les Chinenses
(R. sp. aff. chinensis var. spontanea) et les Cinnamomeae
(R. fedtschenkoana).
Notes
1° Selon
certains le nom de "Sebba'auy" correspondrait à celui de "Sibawayhi", auteur
d'origine persane, premier grammairien de la langue arabe
avec son ouvrage "Al Kitâb". Toute info
supplémentaire au sujet de l'origine de cette
appellation serait bienvenue.
2° le
XXe, lui, fera primer la "productivité" commerciale
et marketing, c'est ce qui entrainera au niveau des plantations
l'apparition des plates bandes des roses et de couleurs "flashy",
et au niveau de la fleur coupée d'une escalade
esthétique discutable vers des roses uniflores
et de plus en plus turbinées comme des "mannequins".
3° Parmi
les récoltes de Schweinfürth on trouve aussi
dans l'herbier Crépin des spécimens égyptiens
de 'Ward
Belledi' ,
syn. R.
gallica var. aegyptiaca Schw., un hybride sans
doute proche des Damas et qui mériterait une étude
approfondie (il a aussi collecté une
forme étonnament proche au
Yémen ),
ainsi que de R.
x alba,
de Ward
'Sahuri' ,
peut-être
un autre hybride comprenant du R. gallica et du R.
chinensis,
de R. bracteata naturalisé dans
le delta du Nil , et aussi des spécimens d'Érythrée
de R. sancta, syn. R. x richardii et
de la même origine,
et du Yemen de R. abyssinica.
4° Des
analyses génétiques menées par
Hikaru Iwata il ressortirait que les Damas non remontants
et remontants ne formeraient en fait qu'un seul clone.
5° Ces
inflorescences terminales à la ramification non flexueuse
et aux bractées bien développées ne sont pas sans faire
penser
à celles de Rosa abyssinica.
6° Les
analyses d'Hikaru Iwata mettent également en lumière
le rôle
de R. fedtchenkoana dans l'origine des Damas
auxquels il aurait apporté des caractères
morphologiques tels que les inflorescences compactes
et glanduleuses,
la forme des fruits et pour une part la remontance).
Remerciements
Un tout
grand merci à la gentillesse de Yuki Mikanagi, de l'Université
de Chiba (Japon), qui s'est vivement intéressée aux roses
japonaises de l'Ère Meiji que j'avais retrouvées dans
l'herbier Crépin, qui m'a renseigné sur les roses à cette
époque, a corrigé mon orthographe de leurs noms et qui
m'a envoyé les photos
de la rose 'Shigyoku'.
ivan
louette, mis en ligne le 7 décembre
2004
mis à jour le 15 décembre 2004.
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