L'amateur
crée ses roses
(Notre
ami Louis Lens, dans sa grande humilité nous aurait
grondé avec un sourire tendre et pétillant d'utiliser
l'expression "créer" pour cette modeste activité
humaine dans laquelle il donna pourtant toute la mesure de
son génie...!)
Nous
devons remercier deux obtenteurs de roses amateurs, Jean-Marie
Prignon et Gérard Heubrecq, tous deux de Court-Saint-Étienne,
dans le Brabant wallon et assidus de la roseraie communale
qui ont contribué de manière importante à
cette page.
Les
images et les deux premiers textes qui suivent ont été
publiés à plusieurs reprises, d'abord pour les
habitants de la commune de Chaumont-Gistoux, ensuite pour
les Floréades de Gembloux et pour l'inauguration à
Enghien de la stèle dédiée au grand obtenteur
amateur belge du XIXe siècle Louis Parmentier. Une
édition spéciale avec couverture en couleurs
a été offerte aux membres de la Société
des roses du Québec.
Récemment, ils ont été réédités
dans le bulletin des Amis de la Roseraie du Val de Marne à
L'Haÿ-les-Roses et une partie des dessins ont été
repris dans la revue Quatre Temps, des Amis du Jardin
botanique de Montréal pour illustrer un article d'André
Ève sur l'hybridation.
Le texte Le semis de A à Z selon Gérard est
une addition inédite présentant une alternative
à la technique utilisée à la roseraie
communale jusqu'il y a peu.
Un
peu de technique en images
L'amateur
crée ses roses
Lhorticulture
damateur existe depuis toujours
...et
les grands professionnels, restent des "amateurs"
au sens le plus profond du terme. Tout passe-temps en relation
avec le vivant peut être très créatif.
Car le vivant nous oblige à faire preuve dinventivité
pour nous adapter à lui, douverture pour tirer
des leçons, et de créativité pour imaginer
des règles du jeu pour apprendre mieux encore. Mes
premiers contacts horticoles ont été les amateurs
de plantes alpines. Linadaptation de ces plantes au
climat belge les oblige à des prouesses
dimagination dans les techniques de culture, de semis,
etc. ... Ces créateurs de microcosmes expriment ainsi
leur propre vision du monde.
Pourquoi
créer?
...mais
se pose-t-on cette question quand on en a envie?
Personnellement, je ne me la pose pas souvent. Je sais que
confusément, ce qui me pousse à aller de lavant,
cest le désir de voir apparaître quelque
chose de nouveau, qui soit en équilibre entre mes espoirs
et linattendu absolu. Il est évident que pour
moi aussi, créer des roses cest en partie exprimer
ma vision dun monde idéal.
Largent par exemple na rien à voir avec
tout ça dans mon cas! Je nai jamais gagné
un franc à créer des roses; elles sont seulement
les ambassadrices de la roseraie communale et des idées
qui la sous-tendent.
Le principe de ma démarche est, dans un premier temps
de susciter lapparition de formes multiples et hétéroclites
en semant des rosiers et, dans un second temps de pratiquer
une sélection dans ce qui en est sorti. Cependant,
si on pourrait imaginer le même genre de démarche
de curieux dans bien dautres domaines (en passant
par le petit chimiste, ou le cuisinier gourmet),
travailler avec comme
matière première (expression très impropre)
le végétal, amène à des réflexions
en cascade: -botanique bien sûr, mais aussi simple généalogie,
transmission ou non de certains caractères, en sautant
parfois les générations, etc...
Pourquoi
et comment montrer ou partager vos créations ?
...imaginons
par exemple que vous créiez une rose et que vous ne
la montriez à personne. Cest votre droit le plus
strict, et ce nest ni mieux, ni moins bien que de la
montrer à tout le monde, ou de la destiner au commerce;
il ny a ni jugement, ni de convention qui tienne en
la matière. À chacun son jardin secret!
Imaginons même que vous ne fassiez quimaginer
que vous créez une rose. Envisageons que pour vous
cette image de rose soit lespace dun instant la
plus belle de toutes. Qui pourrait vous blâmer de ne
pas aller plus loin? Vous aurez imaginé. Cest
déjà ça! Pas plus que dautres activités
de même nature,
lhorticulture virtuelle nest interdite.
Si vous
désirez montrer vos créations, faites visiter
votre jardin, faites le connaître de bouche à
oreille ou insérez vous dans une filière comme
les Jardins Ouverts. Partagez éventuellement
vos créations, ou si vous désirez les diffuser
de manière commerciale, montrez-les à un producteur
en qui vous avez confiance.
Semons
nos roses
Semer
des rosiers n'est pas plus sorcier que les hybrider.
Cependant, si nous attendons beaucoup de la graine (peut-être
trop...), elle aussi attend de nous quelques preuves de bonne
volonté:
de la
patience en l'attente d'une germination parfois lente ou retardée,
de la tolérance envers son irrégularité
occasionnelle ou même son refus obstiné, un esprit
ouvert à l'imprévisible originalité de
ce qui peut en sortir.
Commençons donc, ...mais pas trop petit:
semer
une seule graine, ou bien très peu de graines de chaque
variété choisie pourrait mener à l'échec,
ou à l'impossibilité de tirer des conclusions
de ce que l'on fait.
...ni
peut-être trop grand:
semer
beaucoup en disposant de trop peu d'espace pour voir se développer
les résultats peut obliger à sacrifier trop
de choses potentiellement intéressantes.
Néanmoins,
faites comme bon vous semble, et tirez-en vos propres conclusions;
chacun peut aboutir à des résultats différents!
Que
semer et comment ?
En principe,
tous les rosiers produisant des graines peuvent se semer.
Deux remarques s'imposent cependant:
certains
groupes (en particulier les rosiers des chiens et églantiers,
bien de chez nous) mettent souvent plusieurs années
à germer, donc il est indispensable de ne pas se décourager
et de garder les pots d'une année à l'autre;
d'autres (rosiers de Chine et dérivés tels que
les hybrides de thés et certains floribundas) mûrissent
difficilement leurs graines à l'extérieur chez
nous; les cultiver en grands pots ou en pleine terre dans
une serre ou une véranda non chauffée peut aider.
Ils préfèrent d'ailleurs aussi une température
d'une quinzaine de degrés pour germer (mais attention
à une surchauffe très rapide de la terre des
pots de semis si on les effectue en serre ou en couche; cela
peut empêcher la germination, ou lorsque les jeunes
plants ont germé, les dessécher ou favoriser
les maladies!)
La méthode
suivante m'a donné de bons résultats avec différents
groupes tels que les hybrides de moschata et tout ce qui descend
des rosiers multiflores et autres de cette section des Synstylae
en général, mais aussi avec des choses aussi
différentes que certains rosiers moussus, les rosiers
pimprenelles et les autres roses botaniques en général.
- les
fruits sont récoltés bien avant de devenir
blets ;
- les
graines en sont sorties tout de suite ;
- elles
sont éventuellement lavées, mais pas mises
à sécher au
chaud ;
- on
les sème rapidement ;
- les
pots sont profonds et leur fond est drainé au moyen
de gravier grossier ;
- les
graines sont simplement posées sur le terreau pur
(pas trop fibreux) ;
- on
les recouvre d'environ deux centimètres d'épaisseur
d'un mélange de sable grossier et de fin gravier
;
- on
pose les pots à l'extérieur pour l'hiver (attention,
certains pots en terre de mauvaise qualité peuvent
éclater avec le gel!) ;
- ils
sont recouverts d'un grillage destiné à éviter
les festins des petits mulots et des oiseaux, -on laisse
pleuvoir, geler, neiger sur les pots (on peut même
les recouvrir de neige) ;
- en
avril (parfois plus tôt), les semis germent (ils supporteront
bien les gelées tardives) ;
- on
déplace alors les pots à mi-ombre ;
- vers
le début de juillet, on peut repiquer en pleine terre
dans un sol bien drainé à des écartements
de 10 à 15 centimètres ;
- à
la fin de l'hiver suivant, les plants moins volumineux risquant
d'être étouffés seront regroupés
ailleurs et retaillés un peu (il vaut mieux manipuler
les moins forts, car leur enracinement moins puissant entraînera
moins de perturbations autour d'eux lors de cette transplantation).
...et
la sélection ?
Elle
est affaire de temps; si les rosiers descendants de chinois
ou de multiflore nain fleurissent parfois dans l'année,
d'autres demandent deux à trois saisons.
Dans la mesure où en tant qu'amateurs, nous disposons
d'une beaucoup plus grande marge de manoeuvre que le professionnel,
profitons donc au maximum de cette liberté!
Que nous
nous imaginions dans la peau d'un artiste ou dans celle d'un
horticulteur (voire plus ou moins consciemment dans celle
du bon dieu), à notre niveau la sélection n'est
qu'affaire de goût ou d'attirance personnels. Un parfum,
un feuillage, une transparence des pétales, ...ou peut-être
un charme d'ensemble inexplicable n'ont-ils pas tous les mérites?
Si le coeur nous en dit, comparons nos résultats à
ceux des professionnels, ...mais vaudrait-il bien la peine
d'aller jusqu'à introduire la notion de compétition
dans le moindre des petits plaisirs que l'on se fait?
i.l.
Hybrider
les roses en amateur...
...une
intimité supplémentaire avec la nature,
de nouvelles découvertes dans des fleurs pourtant cent
fois côtoyées,
les conseils amicaux et compétents des abeilles et
des bourdons ;
...de
nouvelles interrogations et de nouveaux suspenses,
la défloraison nest plus cette fin déplorée
mais le début de lespoir,
lattente des signes de fécondation réussie
ou ratée,
le suivi de la maturation, la menace des oiseaux,
enfin le temps de la cueillette,
et les cynorrhodons vides et ceux à 1..5..10..40 akènes
;
...une
saison des roses qui dure 365 jours par an,
depuis les lectures dhiver sur les généalogies
et compatibilités,
limpatience des récoltes détamines
des pères élus,
lémission et la conservation des pollens pas
si évidentes,
la fécondation des mères qui ne doivent plus
se faire trop attendre
jusquaux semis dautomne ;
...un
élargissement de votre jardin à tous les lieux
de récolte de pollen.
...sans
trop de déconvenues...
Abeilles
industrieuses et bourdons jouisseurs ne fréquentent
pas les
fleurs par temps humide. Ne le faites donc pas non plus.
Les scientifiques vous donneront le même conseil mais
en plus compliqué: Humidité, lumière
et chaleur favorisent la germination des grains de pollen
qui émettent leur tube pollinique puis meurent.
Comme
vos doigts sont bien moins pratiques que des pattes d'abeilles,
il
faudra vous équiper de ciseaux à ongles pour
"faucher" les étamines.
Recueillir ces étamines dans des boitiers de films
photos est une bonne
solution.
Dépêchez-vous alors de les placer, couvercles
enlevés, soit dans votre
frigo, soit dans un exsiccateur bricolé. L'humidité
contenue dans les
filaments et les anthères sera évacuée
plus ou moins rapidement selon
leur taille et le volume de récolte.
En secouant votre boîte, vous saurez que le pollen se
libère en le voyant
tapisser la paroi.
Cela peut prendre plus d'une semaine avec les énormes
anthères allongées de 'Crimson Glory'.
Cela peut être immédiat avec 'Kathleen': en ouvrant
ses boutons non éclos, on y trouve des fourmis et des
pétales déjà tout barbouillés
de pollen doré.
Gare aux autofécondations spontanées!
...ni
précautions aussi fastidieuses qu'inutiles...
...tels
les capuchons de gaze.
Les abeilles et les bourdons, de mon entourage du moins, ne
sont ni inamicaux ni idiots.
Tout impressionné des lectures de bons conseils, j'ai
ensaché des douzaines de jeunes mères dès
leur émasculation. Après quoi, il fallait les
libérer le temps de les féconder, ce que je
fais deux jours successifs.
Quelle galère !!
Perplexe, j'ai aligné dans mon jardin une vingtaine
de rosiers fleuris en
conteneurs. J'ai émasculé toutes les fleurs
et me suis assis pour une
longue après-midi de farniente. J'y suis retourné
le lendemain.
J'ai vu des fourmis qui après leur escalade ne redescendaient
pas
immédiatement. J'ai vu des multitudes d'insectes volants
s'approcher par
temps ensoleillé mais pas un seul se poser.
Dans ma véranda, par contre des bourdons enfermés,
affolés et affamés ont eu des comportements
tout différents.
Conclusions: protégez éventuellement les boutons
avant émasculation et
placez des moustiquaires quand vous aérez votre serre
ou véranda.
...ni
accessoires coûteux et inconfortables...
...tels
les pinceaux à réserver à chaque pollen
sous peine de les rincer
dans l'alcool. Le pollen y adhère peu ou prou selon
le poil. Ils sont trop
raides ou trop mous.
Je ne me souviens plus si c'est une abeille ou un bourdon
qui m'a suggéré
que les plumes d'oiseau avec leurs barbules avaient une structure,
ma
foi, assez adéquate.
Et que les oiseaux paient leur tribut à la vie moderne
et aux chats.
Et qu'en ouvrant les yeux je trouverais de quoi fabriquer
plus de bons
pinceaux qu'il n'y a de pollens différents dans tous
les jardins alentour.
...ni
objectif préétabli...
...si
indispensables et stricts pour les hybrideurs professionnels
les plus
compétitifs de la rose à rentabiliser.
Une visite en juin vous convaincra de leurs importants moyens,
de leur
maîtrise experte dans le créneau de rosiers qu'ils
explorent. Vous serez
sûrement très impressionnés de voir les
semis de l'année précédente fleurir pour
la seconde fois et avoir quasi la taille de rosiers adultes.
Vous verrez ensuite les tombereaux de rosiers arrachés.
Parce qu'en juin,
il faut impérativement avoir porté un premier
jugement et se concentrer
sur 5 à 10 % d'élus provisoires.
Il faut faire place sans tarder et sans se tromper
...alors
que la nature nous propose un JEU...
J.
M. Prignon
Le
semis de A à Z selon Gérard
1.
Récolte des cynorhodon
- 1.1
Époque:
De septembre à octobre, en conservant une portion
du pédicelle et en étiquetant soigneusement.
- 1.2
Conservation:
- a
Maturation des fruits dans du sable de rivière
légèrement humide.
- b
Ensuite on les décortique et on place les graines
dans des récipients ouverts. On laisse se ressuyer
pendant quelques jours.
- c
On mélange les graines avec du sable de rivière
très légèrement humidifié.
Atention aux moisissures! On rassemble ensuite les récipients
dans une boîte qu'on place au frigo durant environ
8 semaines (= stratification).
2.
Le semis
- 2.1
Le récipient:
Grand bac en frigolite du genre de celui utilisé
pour le transport du saumon.
- 2.2
Le substrat:
2 parts de terreau universel + 1 de tourbe fine + 1
de sable grossier + 1 poignée de charbon de bois.
- 2.3
Le semis proprement dit:
Semis en sillons distants de 5 cm.
On couvre les graines avec du sable grossier (1 cm), puis
la totalité de la surface avec un mélange
à parts égales de terre de bruyère
et de tourbe.
- 2.4
L'arrosage:
Arrosage léger à l'aide d'un petit arrosoir
muni d'une pomme.
- 2.5
Stockage des caissettes:
Dans l'obscurité durant 2 semaines à une
température inférieure
à 10°C.
-
2.6 Sortie des caissettes:
En plein air à exposition est ou en serre à
15°C ou plus.
3.
Le suivi
- 3.1
Aérer en cas de fortes chaleurs.
- 3.2
Garder la surface humide
durant la période précédant la germination
mais sans excès.
- 3.3
Éviter les écarts de température.
4.
Le repiquage
(le
plus tôt possible - 4 jeunes feuilles)
- 4.1
Soit:
- terreau
ou terre de bruyère en pots carrés de
6 x 6 cm (1)
-
terreau + vermiculite + paille hachée en pots
carrés
de 10 x 10 cm
- 4.2
L'étiquetage:
5.
Les rempotages (2)
Dès que la tige est ramifiée ou que les
radicelles sont visibles par les orifices de drainage.
- 5.1
Les containers:
Pots pour rosiers successivement de : 2litres ->
4 litres -> 6 litres.
- 5.2
Le substrat:
Terreau + vermiculite + argile + paille hachée
+ perles d'engrais rosiers + grains d'eau.
- 5.3
Les apports d'engrais:
Engrais liquide tous les 8 jours.
(1)
La première fleur apparaît souvent à ce
stade. Ne faudrait-il pas la supprimer dans le cas des rosiers
à grandes fleurs, afin de ne pas épuiser la
jeune plantule au détriment de la végétation?
(2)
L'idéal est la plantation en pleine terre, mais la
superficie de mon jardin m'oblige à recourir à
la culture en pots.
Gérard
Heubrecq
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