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Les roses des "Quatre Saisons"

Introduction
Morphologie
- 1° Éléments de descriptions anciennes
- 2° Illustrations anciennes
- 3° Herbiers anciens
- 4° Exemples en culture actuellement
Phénologie
- 1° Éléments de descriptions anciennes
- 2° Exemples en culture actuellement
- 3° Anciennes techniques de forçage
Conclusion
Notes
Bibliographie


Introduction

n.b. L'une des hypothèses implicites de cet article, à savoir que Rosa abyssinica aurait pu apporter leur caractère remontant aux roses de Damas des Quatre saisons a été récemment remise en question par les analyses du généticien japonais Hikaru Iwata qui a mis en évidence la présence de l'espèce remontante Rosa fedtschenkoana dans leur parenté.

"Qu'est-ce que la rose appelée 'des Quatre Saisons'? Où est-elle apparue? Personne ne peut le dire !... Quelqu'un serait-il à même de former à partir de caractéristiques communes un groupe plus ou moins homogène?"
Brent C. Dickerson s'interrogeait en ces termes dans l'introduction de
The Old Rose Advisor, un livre très documenté sur les roses anciennes (5).
On se perdra peut-être encore longtemps en conjecture à propos de l'identité de roses telles que la "Tous les Mois" décrite brièvement par Jean de la Quintinie, jardinier de Louis XIV. Dieu sait si cette tension à la recherche de l'identité d'un objet particulier peut être fascinante et motivante I.

Plusieurs espèces de roses peuvent avoir apporté au cours des temps des gènes de floraison récurrente à des races cultivées, et parmi les roses appelées autrefois "des Quatre Saisons", certaines ont peut-être subi l'influence de R. moschata, voire celle, plus ou moins directe de R. chinensis bien longtemps avant que celle-ci n'arrive officiellement en Europe (une recherche personnelle en cours sur la nature et l'origine des premières roses "Bourbon" tendrait à le faire croire). Par conséquent, des caractères morphologiques différents liés à chaque origine différente de "remontance" peuvent s'être manifestés au cours de l'histoire de ce groupe.

Au début du XIXe siècle, toutefois, des caractéristiques bien particulières sont mentionnées régulièrement par les divers auteurs lorsqu'ils décrivent les "Quatre Saisons".


Morphologie

1° Éléments de descriptions anciennes

On y relève la position terminale, le port érigé, et l'aspect "corymbiforme" compact des inflorescences de celles-ci: -"Fleurs érigées en une espèce de corymbe" [Thory (9), pour ses R. bifera vulgaris et R. bifera alba (fig. 6)]; -"Cette rose croît à l'extrémité des branches" [Rössig (11), pour sa R. omnium calendarum]; -"...corymbe de 3 à 20 fleurs ensemble" [Seringe (12), pour sa R. calendarum]. L'accent est également mis sur ce qui semble être la cause de cet aspect compact, en l'occurence les pédicelles: -"...courts, redressés, très rapprochés" (Thory, pour ses R. bifera vulgaris et R. bifera alba); -"...peu allongés, redressés les uns contre les autres" [Loiseleur-Deslongchamps (6), pour ses R. bifera semperflorens et R. bifera candida]; -"...plus courts que ceux de la Rose à cent feuilles" (Rössig, pour sa R. omnium calendarum); -"...courts et roides" (Seringe, pour sa R. calendarum multiplex alba ).
On constate par ailleurs une plus grande densité des aiguillons que chez les roses à floraison unique que ces auteurs s'accordent à considérer comme les plus proches [les "roses de Damas" (R. damascena Mill. et R. belgica Mill.), et cela rappelle un avis déjà exprimé par Ferrarius (7) en 1633 ("...densioribus saevit aculeis"), pour sa R. italica flore pleno perpetuo], ainsi qu'une disposition particulière de ceux-ci: -"...naissant particulièrement au dessous du départ des pédoncules" (Seringe,
pour sa R. calendarum), donc juste sous les inflorescences, ou bien: -"...des aiguillons très forts et très nombreux entre les 3 ou 4 feuilles supérieures" (Seringe, pour sa R. calendarum multiplex alba ).


2° Illustrations anciennes

Parmi les illustrations d'époque les plus explicites en ce qui concerne la structure des inflorescences, il faut bien entendu citer d'abord celles de Redouté, R. bifera alba (fig. 6) étant la plus significative, car d'une part il s'agît probablement d'une forme très ancienne, et d'autre part elle est considérée par Thory lui-même comme la plus proche de sa R. bifera vulgaris que Redouté ne représente pas [cette dernière étant probablement identique à la R. bifera semperflorens de Loiseleur-Deslongchamps, dont G. D. Rowley fait actuellement le type du groupe, mais qui est apparemment représentée de manière peu caractéristique par Pancrace Bessa (6)]. Chez R. bifera alba, on devine très bien le fonctionnement des inflorescences , comme c'est le cas dans les illustrations de R. bifera macrocarpa et R. bifera pumila du même ouvrage (deux obtentions contemporaines de Redouté et Thory, peut-être hybrides avec d'autres groupes). Ce fonctionnement est moins évident chez R. bifera officinalis et R. bifera variegata, mais il semble bien que dans tous les cas on ait affaire à des inflorescences au fonctionnement et aux proportions similaires à ce qu'on rencontre chez R. abyssinica. La disposition des rameaux florifères par rapport à la tige principale, tant chez R. bifera alba que chez R. bifera pumila est également significative, ainsi peut-être que la quasi absence de flexuosité des rameaux.
Une illustration bien plus ancienne [Weinmann (14), pour sa R. omnium calendarum (fig. 8) montre deux rameaux florifères latéraux très courts accompagnés de rameaux végétatifs en développement.


 

3° Herbiers anciens

Parmi ses plus anciens spécimens, l'herbier de François crépin, au Jardin botanique national de Belgique, à Meise (BR), en contient de nombreux récoltés par N. C. Seringe lui-même sur les roses qu'il décrit dans ses diverses publications (12, 13). Cela constitue une mine de renseignements de première main sur la morphologie des roses connues à l'époque. Son groupe des R. calendarum présente bien des similitudes avec les R. bifera de thory illustrées par redouté; en particulier la structure, la compacité, les proportions des inflorescences (voir également fig. 10).


4° Exemples en culture actuellement

On peut constater au vu de cette série d'exemples qu'une partie au moins du groupe des "Quatre saisons" variait autour d'un même schéma de base.
Nous avons la chance qu'au moins une des représentantes de ce groupe subsiste en culture aujourd'hui sous le nom de "Quatre saisons" [il s'agirait effectivement selon certains de R. x damascena var. semperflorens (Loisel.) Rowley] de même que deux de ses descendantes présumées les plus directes ['Duchesse de Portland' (qui serait la R. damascena coccinea de Redouté et thory) et 'Stanwell Perpetual' (un hybride présumé entre R. pimpinellifolia L. et un "Quatre Saisons")].
Tous les cas de figures d'inflorescences observés chez R. abyssinica sont la règle chez ces trois formes (voir fig. 7 et 9 pour des exemples courants chez R. x damascena var. semperflorens, et se reporter aux passages en gras dans la description de R. abyssinica dans la première partie de l'article).


Phénologie

1° Éléments de descriptions anciennes

Rappelons d'abord que De l'Obel (4) fut probablement le premier des botanistes, avant Ferrarius, à signaler des roses fleurisant trois à quatre fois par an. On ignore si elles le faisaient spontanément ou sous l'effet d'un forçage (voir plus loin).

Au début du XIXe siècle, les "Quatre Saisons" sont décrites comme ayant des floraisons prolongées à des degrés divers: -la Rosa omnium calendarum de Rössig "...fleurit pendant trois mois, à prendre du mois de mai"; -R. bifera macrocarpa de Thory "...se couvre de fleurs depuis le mois de mai jusqu'à la fin de juillet", tandis que les vieux pieds de sa R. bifera vulgaris "...fleurissent toute l'année", et que les fleurs de sa R. bifera alba "...se voient les premières, se renouvellent à l'automne et durent souvent jusqu'aux gelées"; -R. bifera semperflorens, de Loiseleur-Deslongchamps "...fleurit naturellement deux fois l'an, au printemps et à l'automne".


 

2° Exemples en culture actuellement

R. x damascena var. semperflorens fleurit deux et demi à trois mois (de mai à fin juillet), et c'est déjà beaucoup par rapport à 'York & Lancaster' ou 'Kazanlik' , exemples classiques de roses de Damas non remontantes, qui fleurissent un mois au maximum. 'Duchesse de Portland' se couvre de fleurs en juin puis porte constamment des fleurs plus dispersées jusqu'en novembre. 'Stanwell Perpetual" commence avec R. pimpinellifolia , très tôt en mai. Sa floraison d'abord très abondante diminue ensuite mais reste continue et le moindre apport d'eau l'étoffe à nouveau, à tel point qu'on a l'impression que des conditions adéquates la feraient fleurir toute l'année.


3° Anciennes techniques de forçage

Ceci nous amène à des techniques de culture particulières utilisées pour les "Quatre Saisons" au XIXe siècle, mais sans doute bien plus anciennes.
Pour sa R. bifera alba, Thory signale que sa floraison est prolongée (ou plutôt répétée) "...surtout si l'on a le soin, au mois de juillet, de tailler et d'effeuiller ces arbrisseaux qu'il faut arroser pendant les sécheresses".
Carrière (2) affirme qu'on peut les faire fleurir (les "Quatre saisons", sans précisions sur les cultivars) quatre fois par an de la manière suivante: -Cultiver la plante en pot et en tailler tous les rameaux assez court de manière à obtenir des bourgeons qui se terminent par des fleurs. Aussitôt la floraison passée, il faut laisser sécher les plantes de manière à en arrêter la végétation et même à les faire "dépouiller", puis on taille et l'on arrose; alors de nouveaux bourgeons ne tardent pas à se développer, et à leur tour, se terminent par des fleurs".


Conclusion

Cet article n'est pas destiné à apporter la preuve formelle que R. abyssinica a joué un rôle dans l'apparition de nos premières roses à floraisons récurrentes, mais plus modestement à attirer l'attention sur cette possibilité, qu'un certain nombre d'éléments rendent plausible. Il n'était pas nécessaire dans ce cadre que je m'attarde sur une description détaillée du matériel vivant ou desséché des "Quatre Saisons", ou sur la recherche très aléatoire des synonymies à l'intérieur de ce groupe. La description de R. abyssinica, basée sur un matériel riche et varié pourra par contre être utile à qui s'intéresserait à prolonger la recherche des gènes de R. abyssinica dans les roses anciennes originaires du Proche-Orient, en tenant compte des éléments essentiels que constituent la nature et les limites, encore mal définies de sa variabilité.
Au cours de l'histoire, les occasions n'ont pas manqué entre l'époque où, des siècles avant notre ère les marins phéniciens, puis ceux d'Alexandre le Grand et des Ptolémées parcouraient la Mer Rouge et celle où l'Empire ottoman (contemporain de De l'Obel et Ferrarius) englobait le Hedjaz et une part de l'actuel Yémen, pour que des gènes de R. abyssinica soient venus se mêler à ceux d'autres espèces plus septentrionales. Le Proche-Orient fut un carrefour d'influences qui explique facilement que les roses de Damas soient des hybrides entre plus de deux espèces.
D. L. Clarke (1) ne voit pas de discontinuité morphologique entre les roses de Damas remontantes et celles à floraison unique (on pourrait effectivement dire que ces différences sont d'ordre quantitatif et non qualitatif). Wirdlechner (15) considère les deux groupes comme des hybrides probables entre R. gallica et R. phoenicia. Il est possible à mon avis que le groupe des roses de Damas pris dans son ensemble soit un groupe hybride complexe entre R. gallica , R. phoenicia, R. abyssinica et peut-être l'une ou l'autre espèce d'origine plus orientale [persane? II], et que la morphologie particulière des "Quatre saisons" soit l'une des modalités selon lesquelles le caractère remontant s'y manifesterait. Il serait naturellement impossible de préciser en quel lieu, dans quel ordre et par quel hasard les patrimoines génétiques d'espèces aussi diverses se seraient mêlés. cependant, divers cultivars furent introduits, probablement de longue date dans les régions où croît R. abyssinica. Côté africain, on rencontre dans le nord de l'Érythrée R. x richardii Rehder (syn. R. sancta A. Rich.), un hybride probable entre R. gallica et R. phoenicia III. Du côté de la Péninsule arabique, Schweinfürth récolta fin XIXe siècle au Yémen deux formes très proches des roses de Damas IV, en même temps que de précieux spécimens de R. abyssinica. L'histoire de la culture de la rose dans ces régions n'a apparemment pas été étudiée de manière approfondie jusqu'à présent.
Quoiqu'il en soit, l'influence du groupe des "Quatre saisons" durant les premières décennies du XIXe siècle, c'est à dire au début de la grande expansion de l'obtention de nouvelles roses par semis et fécondations artificielles (en France en particulier) justifie que l'on s'intéresse aux origines de son aptitude a à des floraisons récurrentes. On retrouve en effet des traces de la morphologie particulière liée à ce phénomène sur plusieurs générations à cette époque, cela ayant d'ailleurs causé problème aux obtenteurs des premiers "hybrides Remontants", qui considéraient (8) comme leurs défauts capitaux, la "tige [florale] déprimée dans la masse du feuillage", le pédoncule "court et roide", et la fleur "cachée dans les feuilles". Il faut dire que pour ce qui est des pédicelles, ils avaient des chances d'hériter d'une autre espèce que R. abyssinica d'un caractère fort et court, voire raide, qui aggravait ce phénomène, puisque Rosa chinensis var. spontanea le possède également et l'a transmis occasionnellement à ses descendantes, les roses de Chine cutivées.


 

Notes

Remonter au-delà des débuts de l'histoire de la botanique systématique, jusqu'aux roses de Paestum, qui fleurissaient deux fois, et confronter la présente recherche et les plus naturalistes des fresques romaines serait peut-être intéressant.

II° Jusqu'à présent, les seules roses persanes proche de R. moschata et à floraisons récurrentes que j'ai rencontrées (données recueillies sur herbiers et dans la littérature) avaient des inflorescences se comportant comme des racèmes à floraison acropète [fleurs solitaires (ou inflorescences uniflores?) disposées régulièrement aux aisselles de feuilles complètes, alternes, sur un axe un peu flexueux, les inférieures fleurissant les premières, chez le type de R. moschata var. nastarana Christ dans l'Herbier Boissier, à Genève], ou se rapprochaient de R. noisettiana Thory (R. moschata x R. chinensis).

III° La culture par les coptes d'une forme aussi primitive, à fleurs presque simples est difficilement interprétable. On l'a comparée aux roses séchées retrouvées dans les tombeaux romains d'Égypte. Celles peintes dans la nécropole romaine d'Hadrumète [Sousse, en Tunisie (7)] associent des caractères possibles de R. gallica (fleurs simples rougeâtres) et d'une Synstylae (sépales réfléchis à la floraison), peut-être R. phoenicia.

IV° G. Schweinfürth, ex Arabia Felici attulit, N° 420, Gebel Bura, 1000 m, vraisemblablement cultivé, 1888 ou 89?, et N° 1583, ûber Menacha, 2500 m, vraisemblablement naturalisé, 24 février 1889; Herbier Crépin (BR).


Bibliographie

  1. Bean, W. J.: Trees and shrubs hardy in the British Isles, 8th ed. (1980).
  2. Carrière, E. A.: Le rosier des Quatre Saisons, in Journal des Roses (Melun), pp. 56-7 (1885).
  3. Cochet-Cochet, P. C. M.: La Rose dans le nord de l'Afrique, sous les Romains et au Moyen-Age, in Journ. Soc. Nat. d'Hortic. de France, XXVI, pp. 372-3 (1925).
  4. De l'Obel, M.: Kruydtboeck (1581).
  5. Dickerson, B. C.: The Old Rose Advisor (1992).
  6. Duhamel du Monceau, H. L.: Traité des Arbres et Arbustes, éd. 2, vol. VII (1801-19).
  7. Ferrarius: Flora seu de Florum Cultura (1633).
  8. Jamain, H. & Forney, E.: Les roses (1873).
  9. Redouté, P. J. & Thory, C. A.: Les Roses, 1re éd. (1817-24).
  10. Redouté, P. J. & Thory, C. A.: Les Roses, 5e éd., vol. IV Commentaires sur Les Roses, de P. J. Redouté, par Gisèle de la Roche (1978).
  11. Rössig, C. G.: Les Roses dessinées et enluminées d'après nature (1802-20).
  12. Seringe, N. C.: Mélanges Botaniques (1818).
  13. Seringe, N. C.: Musée Helvétique d'Histoire Naturelle (1818).
  14. Weinmann, J. W.: Phytanthoza Iconographia, vol IV (1736-48).
  15. Wirdlechner, M. P.: History and Utilization of Rosa Damascena, in Economic Botany, 35 (1), pp. 42-58 (1981).

ivan louette, mis en ligne en 2002, modifié le 3 mars 2005

 

© ivan louette et SRN Les Amis de la rose.
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