Les
origines botaniques et géographiques de
Rosa moschata
Herrm.
(Exposé
donné lors de la 8e Conférence Internationale
des Roses Anciennes; Lyon, 29 mai 1999.)
Introduction
Taxonomie
Identité en herbiers
Roses en grappes
La Chine en Perse
Introduction
Depuis
approximativement la moitié du XIXe siècle jusqu'à
sa redécouverte par Graham Thomas dans les années
1960, l'identité et le statut botanique de la rose
musquée ont posé problème. Refaire connaissance
avec la rose à l'origine de cette appellation, et retrouver
ses origines botaniques n'ont pas été une sinécure.
Pour ce faire, des
herbiers reçus à G. S. Thomas ont été comparés à d'autres
anciens et actuels, du Jardin botanique national de Belgique, à
Meise (herbier Crépin), de Kew, Paris, Edinbourg,
Vienne, Wageningen et Anvers. La littérature ancienne
et actuelle a aussi été largement consultée, à
Meise, à la Bibliothèque royale de Belgique,
à l'Université de Liège et aux Facultés
universitaires Notre Dame de la Paix, à Namur.
Ma formation de base est la création dans le domaine
des arts plastiques. Par conséquent, je me suis d'abord
attaché en particulier à la morphologie avec
une vision synthétique de chaque herbier rencontré,
pour extraire ensuite les ensembles de caractères qui
les rapprochaient et former des groupes. Chacun de ces groupes
devait aussi présenter une certaine cohérence
en regard de l'histoire et de la géographie végétale.
Par la suite, un petit nombre de caractères particuliers
se sont montrés déterminants pour replacer de
manière plus précise certains spécimens
à l'intérieur de leur groupe.
Taxonomie
En 1963,
G. S. Thomas réhabilite le concept de Rosa
moschata publié par Johannes
Herrmann dans sa Dissertatio de Rosa de 1762 (en fait
une thèse de doctorat en médecine
de l'Université de Strasbourg). Il s'agit d'un grand
arbuste de jardin à feuillage d'un vert terne, produisant
tardivement et jusqu'aux gelées des panicules de
fleurs blanches petites à moyennes, simples à doubles
et au parfum prononcé de musc animal. La littérature
plus ancienne nous apprend que cette variété
serait d'origine persane (d'où son appellation ancienne "nisrîn" )
et qu'elle aurait été
répandue par les Arabes dans tout le bassin méditerranéen
avant le XXe siècle. Sa progression vers le nord
daterait du XVIe et de l'intérêt croissant
pour la botanique (en fait les plantes médicinales,
puisque les pétales
de R. moschata étaient au départ utilisés
comme laxatif) et les jardins.
En 1820, John Lindley constate la ressemblance entre R.
moschata et sa R. brunonii, une
rose sauvage de l'Inde qu'on appellera plus tard "rosier
musqué de l'Himalaya".
Peu après, l'avènement aux U.S.A. puis en Europe
des roses Noisette, qui sont des hybrides entre la rose
musquée
et la rose de Chine, R. chinensis Jacq. cause la
quasi disparition de R. moschata de nos jardins.
On ignore si le grand rhodologue belge François Crépin
a rencontré vivante R. moschata. Son herbier de 43.000
planches de roses conservé au Jardin botanique national
(il fut l'un des premiers directeurs du Jardin botanique de
l'Etat) inclut des spécimens de cette rose, mais non
récoltés par lui. Il était probablement
au courant que le type de R. moschata décrit par Herrmann
était une plante cultivée à floraison
tardive et remontante et à fleurs doubles. Durant toute
sa carrière de rhodologue (les trente dernières
années du XIXe siècle), il tentera d'en retrouver
des formes sauvages dans la nature.
Certains spécimens de Kumaon et de Perse contenus
dans une chemise sur laquelle il avait inscrit "Typus"
montrent qu'il avait une idée assez précise
de ce à quoi ressemblait la vraie rose musquée
de Herrmann. Il élaborera cependant à partir
d'un matériel très hétérogène
un concept de l'espèce R. moschata contenant
des choses aussi éloignées géographiquement
que R. ruscinonensis (sud de la France), R.
abyssinica (est
de l'Afrique et Arabie Saoudite), R. brunonii (Himalaya),
R. sambucina (Japon), ... En raison de son autorité
mondiale à l'époque et aussi de la disparition
déjà plus ancienne de la rose musquée
de nos jardins, la confusion s'établit parmi les
botanistes et aujourd'hui encore, l'appellation R.
moschata est souvent
utilisée à mauvais escient tant dans les flores
que dans les livres d'horticulture.
Identité en
herbiers
Au début
de ma recherche dans les herbiers, je sélectionnais
ce qui ressemblait le plus aux spécimens reçus
de Thomas. Ils étaient souvent européens
ou méditerranéens et cultivés,
mais on y trouvait déjà des variantes,
en particulier au niveau des glandes présentes
dans l'inflorescence et ailleurs. Keller, contemporain
de Crépin décrivait
une R. moschata var. corfuana (de l'île
de Corfou) très glanduleuse. Les empreintes génétiques
pourraient dire s'il s'agit d'un même clone réagissant
différemment suivant les conditions de chaleur
et de sécheresse, par exemple. Les herbiers montrent
aussi des roses indiennes cultivées, proches de
R. moschata, parfois très glanduleuses,
R.
glandulifera décrite
par William Roxburgh début XIXe), parfois à
peine et portant les mêmes appellations locales "Sheotee
Gulab" ou "Kateh
Shewteh" ,
ce qui signifierait "rose douce".
En Perse (Iran, Afghanistan, une partie du Pakistan actuel),
les choses deviennent à la fois plus ambigües
et plus intéressantes. Christ, rhodologue suisse contemporain
de Crépin décrit sous le nom de R. moschata des
herbiers récoltés par Griffith, identiques
à notre R. moschata, mais dont on ne sait
pas s'ils sont cultivés, et d'autres récoltés par
Aitchison, que ce dernier dit être le plus souvent
sauvages
et parfois cultivés. Les herbiers d'Aitchison sont
des formes occidentales de R. brunonii ,
qui traverse la vallée
de l'Indus pour se propager jusqu'en Afghanistan.
Les nombreux spécimens sauvages examinés de
cette région montrent le niveau d'homogénéité
et les petites différences typiques de populations
naturelles. Ils sont aussi beaucoup plus proches morphologiquement
de R. moschata que les autres populations de R.
brunonii.
Leur floraison est cependant unique et non prolongée.
Parallèlement, ne laissant pas de côté
cette question, je m'intéressais à ce qui,
sous des climats différents aurait pu amener les
rosiers sauvages à développer la faculté de
fleurir plusieurs fois sur une saison. Dans le sud de
la Chine, R.
cymosa (de lamême section que R. banksiae)
commence à
fleurir tard et remonte. Ailleurs, en Ethiopie, Erythrée,
Somalie, Arabie Saoudite, au Soudan et au Yemen, R.
abyssinica fleurit en fonction des apports d'eau
de moussons un peu irrégulières,
et peut fleurir plusieurs fois par an. Elle est cependant
morphologiquement (et dans son comportement) plus proche
des
roses de Damas des "Quatre Saisons". Cela peut être
une indication précieuse pour la généalogie
de ces dernières, vu que d'autres précurseurs
de Damas sont cultivés dans la région
depuis de nombreux siècles (dont R. x richardii Rehder,
autrefois nommée R. sancta, un hybride
entre R. gallica et R. phoenicia, importé du
proche orient).
Roses
en grappes
La surprise
de roses remontantes vient cependant à nouveau
de Perse avec R.
moschata var. nastarana décrite
encore par Christ dans son Supplementum à la Flora
Orientalis de Boissier,
paru en 1888. Cette variété cultivée,
tardive et remontante produit ses fleurs en fausses grappes
très allongées composées d'inflorescences
uniflores disposées en spirale tout le long de l'extrémité
de la tige. Un phénomène analogue avait été
décrit par Carrière quelques années
auparavant chez son R.
pissarti ,
mais je n'ai pu le confirmer par l'examen d'herbiers. Mais
la var. nastarana étant
à nouveau une variété cultivée,
le problème des origines botaniques est reporté.
Dans la récente Flora Iranica, le rhodologue
polonais J. Zielinski apporte des éléments
de solution en décrivant deux roses: 1° R.
freitagii ,
une vraie rose sauvage d'Afghanistan aux petites feuilles
rondes
et luisantes,
2° ce qu'il appelle erronément
R. moschata var. nastarana, qui présente
toutes les caractéristiques
d'un hybride entre R. freitagii et les formes occidentales
de R. brunonii (voir plus haut à Aitchison).
Cette seconde rose de Zielinski (une
rose cultivée non
remontante) ressemble comme une soeur à la vraie var.
nastarana; elle en diffère principalement par
deux détails:
ses fleurs ne sont pas en grappes allongées, et ses
stigmates (les parties réceptives des organes femelles)
sont étagés dans le prolongement de la colonne
des styles, comme chez R. brunonii et chez le
R. moschata de G. S. Thomas ,
alors que chez la vraie
nastarana, ils forment, comme chez R. freitagii un
petit hémisphère
au sommet de celle-ci . Ces caractères échangés
tendent à confirmer les origines botaniques persanes
de la vraie et de la fausse nastarana.
Le problème des inflorescences en grappes reste un
mystère, comme celui du caractère remontant.
La vraie nastarana pourrait par exemple être une mutation
de la fausse. On pourrait imaginer aussi que R. moschata soit
une descendante de la vraie nastarana.
Des grappes de ce type étant fréquentes chez
les descendantes de la R. moschata de Herrmann (hybrides
de
moschata de Pemberton et de Louis Lens, rosiers Noisette
et thés-Noisette) et absentes ailleurs, une parenté
semble probable.
La
Chine en Perse
Par
certains caractères, la remontance de R. moschata
Herrm. rappelle cependant plus R.
chinensis Jacq. (même
si sa floraison commence plus tard.) D'autres détails,
comme ses boutons turbinés,
ses pétales terminés en pointe (mucron), ses
sépales extrêmement longs rappellent Rosa
gigantea Collett ex Crépin , les roses thé ou
leurs descendantes miniatures. On a aussi dit qu'au siècle
dernier, elle aurait donné naissance
spontanément à des rosiers de type Noisette,
sans possibilités de fécondation par R.
chinensis.
Or il existe en herbiers des preuves d'une ancienne influence
des roses chinoises en Perse. Christ, à nouveau dans
son Supplementum, décrit R. guli
reschti ,
dont les herbiers types et les autres récoltes
montrent
à l'évidence la relation avec les rosiers de
Chine (plante glabre, fleurs carminées avec des sépales
foliacés typiques des chinensis, ...).
Il ne faut pas la confondre avec la Rose de Rescht'
de Nancy Lindsay, qui est un vieux rosier du groupe des
Portland.
Carrière
(voir plus haut) nomme R.
godefroyae une
plante issue de graines envoyées de Perse aux établissements
Godefroy-Leboeuf par Pissart, jardinier français
du Shah de Perse. Cette rose a des affinités avec
les roses Noisette, mais aussi peut-être avec un
rosier du sud-ouest de la Chine proche de R. multiflora et
connu actuellement sous le nom de R.
multiflora var. cathayensis.
C'est sans doute cette R. godefroyae ou l'une de
ses soeurs de semis qu'Ellen Willmott
montre
au début du XXe siècle dans "The Genus
Rosa" sous les noms erronnés de R.
pissarti, ou R. nastarana . D'après
des analyses génétiques
en cours actuellement, cette rose de Willmott montre des
affinités
avec la rose de Chine 'Old Blush'.
Il y a donc fort probablement eu des rosiers "proto-Noisette",
c'est à dire des hybrides entre Rosa brunonii ou d'autres
roses persanes proches botaniquement (sauvages ou cultivées)
et R. chinensis, ...mais Rosa moschata n'est-elle pas déjà
l'un de ces hybrides ?
ivan
louette 2002, mis à jour le 9 décembre 2004
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