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Ou faut-il démonter le paradigme Rosa chinensis var. spontanea ?

Article publié simultanément dans le numéro 58 (décembre 2004) de "Roses et roseraies", revue de l'association des Amis de la Roseraie du Val-de-Marne, à L'Haÿ-les-Roses.

English summary

Introduction
La rose de Chine (cultivée) de Jacquin
La rose de Chine sauvage (?) de Henry
Quelle est la relation entre la rose de Jacquin et celle de Henry ?
Observations sur les spécimens de Henry et de Rock au Muséum d'histoire naturelle de Paris
Remarques de Boulenger concernant les styles
Conclusion
Remerciements


Introduction

Rien n'est plus fascinant que d'observer une plante sauvage dans son milieu. N'en déplaise aux esprits exclusivement analytiques et à tous les détracteurs de la systématique morphologique, je pense que si la forme d'une plante sauvage et sa relation avec les formes qui l'environnent procurent une réelle jouissance, c'est parce qu'elles donnent en représentation tout à coup l'articulation de quantités extraordinaires de données et d'éléments locaux et universels, momentanés ou évolutifs. La plupart du temps au jardin, ces cartes sont brouillées et des fragments d'évolution se retrouvent juxtaposés d'une manière qui les rend inintelligibles.
Se mettre à la recherche des ancêtres d'une rose cultivée permet donc parfois de retrouver la cohérence initiale mais aussi d'envisager d'une manière constructive bien que toujours hypothétique, voire "rêvée" le processus duquel a résulté une plante de jardin.



La rose de Chine (cultivée) de Jacquin

Lorsqu'en 1767 Nikolaus Joseph Von Jacquin définit l'espèce Rosa chinensis Jacq. dans son ouvrage Observationes Botanicarum (on y trouve d'ailleurs la toute première illustration de cette rose dans la botanique occidentale), il le fait à partir de plantes à floraison perpétuelle cultivées de haute tradition en Chine, les "roses de tous les mois" ou "Monthly Roses" pour les Anglais (des variétés proches ou identiques à 'Old Blush', 'Slater's Crimson China', ...). Jacquin illustrera à nouveau ces roses mais en couleurs cette fois dans le volume 3 de son Plantarum rariorum horti caesarei Schoenbrunnensis descriptiones et icones en 1798.



La rose de Chine sauvage (?) de Henry

En 1884, Augustine Henry ramène des gorges d'Ichang les herbiers qu'il numérote 1151 et  4131 (ou 4181?). Cette découverte fera l'objet d'un article illustré dans le Gardener's Chronicle, Vol. 31 (1902), p. 438. On pense avoir trouvé là sous la forme d'un arbuste sarmenteux à grimpant (à floraison sans doute non remontante, mais ce n'est pas précisé) l'ancêtre sauvage des roses cultivées décrites par Jacquin plus d'un siècle plus tôt et qui depuis leur introduction ont révolutionné la génétique et la culture de la rose en occident. Cette rose de Henry sera classée dans la section des Indicae () définie par Thory au début du XIXe siècle dans Les Roses et qui incluait  à la fois la rose de Jacquin et les roses dites "thé" introduites à l'époque de Redouté et Thory. Rehder & E. H. Wilson lui conféreront  le statut botanique de R. chinensis f. spontanea en 1915 (). Le R. gigantea Collett ex. Crép. découvert en 1882 par sir George Watt à Manipur en Inde et décrit par Crépin en 1888 y sera intégré également.
On n'a apparemment rien retrouvé dans la nature d'identique à la rose d'Ichang de Henry depuis. Les récoltes de Rock, des premières décennies du XXe siècle, et celles plus récentes et encore différentes de Mikinori Ogisu et Martyn Rix, n'y correspondent pas. Comme souvent il n'est pas impossible que ces herbiers de Henry aient été récoltés sur des plantes atypiques, peut-être même hybridogènes (voir plus loin).

(1° Section renommée Chinenses plus tard par Rehder. Voici une traduction de sa définition par Desmond L. Clarke, dans Bean (Trees and Shrubs hardy in the British Isles 8th ed. revised in 1981, vol. 4, p. 40) : "Arbustes grimpants robustes dans leur forme sauvage, pourvu d'aiguillons crochus comme seule armature. Stipules étroites, adnées sur pratiquement toute leur longueur, persistantes. Folioles luisantes, glabres, le plus souvent par cinq ou sept, comptant plus de 25 dents sur chaque marge. Fleurs solitaires, ou parfois par deux ou trois. Sépales entiers ou presque, atténués depuis leur base, caducs au moment de la fructification. Styles libres, légèrement exserts.").

(2° Son appellation actuelle dans les Rosa de la Flora of China est R. chinensis var. spontanea (Rehder & E. H. Wilson) T. T. Yu & T. C. Ku).


Quelle est la relation entre la rose de Jacquin
et celle de Henry ?

L'interprétation qui a suivi du comportement particulier (nanisme et floraison remontante) des roses de Jacquin comme étant issu d'une simple mutation garde aujourd'hui au moins une partie de sa pertinence. Mais les caractéristiques morphologiques qui les différencient de leur prétendue parente sauvage d'Ichang (inflorescences composées, pédicelles longs et fins, glandulosité, ...) ont de toute évidence une origine hybride peut-être complexe et en tous cas entre des espèces appartenant au minimum à deux sections différentes : les Chinenses et les Synstylae. Pour ce qui est du R. chinensis 'Old Blush', l'intervention d'une Synstylae dans sa parenté est confirmée par 'Mr.Bluebird' (), son descendant direct par auto fécondation (voir l'arbre généalogique de 'Mr. Bluebird' dans HelpMeFind Roses). Cette parenté divulguée par Ralph Moore, obtenteur de 'Mr. Bluebird' a été confirmée par des tests génétiques effectués à ma demande par Florence Piola à l'Université Lyon 1 Claude Bernard. 'Mr. Bluebird' possède la plupart des caractéristiques morphologiques d'une Synstylae typique, dont en particulier les inflorescences multiflores (voir les photos de 'Mr. Bluebird' dans HelpMeFind Roses). Habituellement classé parmi les polyanthas, il s'intégrerait bien dans le groupe horticole des "hybrides de moschata" tel que défini par l'obtenteur belge Louis Lens et qui en fait a surtout comme parenté diverses Chinenses et Synstylae chinoises (4°) et japonaises, ...et seulement un peu du R. moschata Herrm. ce dernier vraisemblablement d'origine persane.

(3° soit dit en passant, la couleur particulière de cette variété d'origine génétique 100 % chinoise invalide l'hypothèse que les teintes violacées ou bleutées chez les roses proviendraient exclusivement des espèces européennes et de leurs anciens cultivars du groupe de R. gallica en particulier).

(4° pour ces dernières, R. multiflora var. cathayensis Rehder & E. H. Wilson en particulier, et c'est peut-être l'une des espèces impliquées dans la parenté de la rose de Jacquin).


Observations sur les spécimens de Henry et de Rock
au Muséum d'histoire naturelle de Paris

Un double très complet et riche en informations du spécimen 1151 d'Augustine Henry (un isotype donc) est conservé dans l'herbier de l'Institut de Phanérogamie du Muséum d'histoire naturelle de Paris. Il est loin de correspondre à 100 % tant à la définition des Chinenses de D. L. Clarke qu'aux autres en général. Par contre, mis à part ses fleurs isolées ou en très petits groupes , nombreux sont ses points communs avec les Synstylae. Boutons globuleux comme ceux du groupe des multiflores. Sépales externes de forme elliptique et non atténués depuis la base (base pincée), leur extrémité est acuminée, éventuellement prolongée par un appendice étroitement elliptique, mais rarement foliacée. Ils sont pourvus d'appendices latéraux linéaires comme ceux de R. multiflora Thunb. Styles longuement exserts, 3 à 4/5 de la longueur de l'hypantium disque compris (ils sont villeux), clairement réunis en colonne . Des glandes souvent pédicellées sont présentes sur différentes parties de l'inflorescence (bord des sépales en particulier, dispersées ailleurs) et au bord des stipules qui sont entières ou à peine denticulées. Les folioles sont minces et apparemment non luisantes. Dans les Synstylae il serait intéressant par exemple de comparer le 1151 de Henry à R. hakonensis Koidz. (Syn. R. luciae var. hakonensis, Franch. & Sav.) facile à identifier à partir des types de R. luciae examinés et redéfinis en 2000 par Hideaki Ohba () et visibles au Muséum également. Cette dernière étant aussi le plus souvent à inflorescences uniflores (et à 5 folioles, rarement 7). Mais le R. arvensis Huds. européen n'en est vraiment pas loin morphologiquement non plus avec 5 folioles également et il existe d'autres Synstylae à inflorescences pauciflores voire uniflores et feuilles à folioles peu nombreuses, telles que le R. freitagii J. Zieliński d'Afghanistan (voir l'article L'énigme des roses en grappes sur www.botarosa.com).
Un spécimen de Joseph Francis Charles Rock de la province de Kansu (cité dans Bean) est par contre plus typiquement Chinenses (de même que le sont les différents spécimens du R. gigantea, dont le type, que j'ai eu l'occasion de voir dans l'herbier Crépin au jardin botanique national de Belgique) et serait un meilleur candidat à la parenté de la rose de Jacquin: sépales atténués depuis la base, non appendiculés et bien foliacés, boutons bien coniques, feuillage plus épais et satiné à luisant, à folioles dimorphes (comme chez le R. diversifolia Vent. illustré par Redouté dans la Description des plantes nouvelles et peu connues cultivées dans le jardin de J. M. Cels d'E. P. Ventenat, bien que pour  le reste celui-ci soit proche de la rose de Jacquin), mais là si les styles sont bien villeux aussi, je n'ai pas pu vérifier s'ils avaient tendance à être réunis en colonnes car une seule fleur était ouverte.

(5° en même temps qu'il invalidait l'appellation R. wichuraiana Crépin, celle-ci devant désormais être remplacée par Rosa luciae).


Remarques de Boulenger concernant les styles

George Albert Boulenger faisait aussi concernant les styles des remarques symétriquement opposées à celles qui précèdent puisqu'il indiquait des styles parfois libres chez les Synstylae. Je l'ai aussi constaté personnellement à de multiples reprises chez Rosa arvensis et R. multiflora. Concernant la longueur de ceux-ci et l'arrangement des stigmates de manière étagée ou en glomérule, j'avais aussi constaté des nuances importantes par exemple entre R. moschata et R. multiflora ou R. freitagii également.

Voici un extrait édifiant de Boulenger dans sa Révision des roses d'Asie de l'herbier Crépin :

" Les Chinenses de ma classification sont des Roses sarmenteuses et robustes, très ligneuses, à stipules longuement adnées, à ailes très étroites sur les rameaux florifères, non laciniées, persistantes, à styles libres. Cette définition n'est pas tout à fait satisfaisante par opposition aux Synstylae, car nous savons que certaines spécimens parmi celles-ci, exceptionnels il est vrai, s'écartent du caractère principal de la section qui dérive son nom de la présence d'une colonne stylaire ; je citerai comme exemples les cas connus chez les R. arvensis, R. sempervirens, R. diversistyla, espèces qu'on distinguera toutefois des Chinenses par la forme des stipules. Peut-être découvrira-t-on plus tard, comme je le souhaite et l'espère, des caractères plus importants pour justifier la séparation des Chinenses des Synstylae, mais les matériaux à ma disposition sont trop peu nombreux pour me permettre de réaliser cet espoir : sinon, il faudra bien réunir les deux groupes en une même section. Cette réunion a même déjà été réalisée par C. C. Hurst, Exper. in Genetics, XXXVIII, 1925, p. 534, qui, dans  sa bizarre classification, va jusqu'à réduire au rang de sous-espèces du R. sempervirens les R. chinensis, R. gigantea, R. laevigata, R. banksiae, R. microcarpa. "

(Il est à remarquer que Boulenger classait dans ses Banksianae R. laevigata Michx., R. banksiae R. Br., R. microcarpa Lindl. (syn. R. cymosa Tratt.) et R. collettii Crép.)


Conclusion

Bien que la section Chinenses soit légitime en tant qu'outil d'investigation, le petit groupe de caractères qui la définit révèle une entité évolutive particulièrement proche des Synstylae. Il ne faut pas s'étonner par conséquent de trouver dans la nature des formes intermédiaires telles que la rose d'Ichang qui peuvent soit être d'origine hybride très ancienne, soit représenter des lignées évolutives particulières.
L'origine hybride confirmée de la rose de Jacquin par contre, même si elle est probablement le fruit d'une fécondation naturelle ne peut pas être antérieure à l'intérêt de l'homme pour les jardins ou la culture des roses vu son nanisme et la production concomitante en permanence de tissus tendres qui la rendent inapte à une vie en pleine nature.
Le statut de bon nombre des herbiers de roses récoltés par George Forrest dans la province de Yunnan entre 1904 et 1932 et actuellement conservés au Jardin botanique d'Édimbourg semble encore plus difficile à déterminer.
On peut dès lors se demander si la complexité de la flore des roses chinoises proches du cultivé ne tient pas à une sorte d'endémisme artificiel d'origine humaine où des populations fragmentées par les cultures depuis des millénaires auraient dérivé génétiquement, voire seraient devenues plus instables, ou plus exposées aux introgressions diverses.


Remerciements

Mes remerciements particuliers vont à Monsieur Marc Pignal, responsable de l'herbier du Muséum national d'histoire naturelle de Paris, qui malgré un planning très chargé m'a donné l'occasion d'examiner les spécimens d'herbiers de Henry et de Rock et de les photographier. Le personnel de l'herbier doit aussi être remercié pour sa grande gentillesse. Je remercie également beaucoup Florence Piola, de l'université de Lyon pour les analyses génétiques citées plus haut ainsi que bien d'autres qui m'ont éclairé dans mes recherches sur la genèse des races cultivées de roses !

Sources des liens et avec tous mes remerciements également à :

http://www.zigzag-territoires.com/
http://ridgwaydb.mobot.org/mobot/rarebooks/
http://www.mobot.org/mobot/molib/
http://www.plantexplorers.com/
http://www.efloras.org/
http://www.helpmefind.com/
http://www.rdrop.com/%7Epaul/main.html
http://www.jjbot.com/
http://oasis.harvard.edu/
http://en.wikipedia.org/
http://wiki.tela-botanica.org/


ivan louette, le 18 novembre 2004, mis à jour le 25 février 2005

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