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Enregistrer la diversité

(Publié simultanément dans le No 50, janvier 2003 de Roses et Roseraies, Bulletin de l'association "Les Amis de la Roseraie du Val de Marne" à L'Haÿ-les-Roses).

English summary

Responsable d'une roseraie de service public vouée à l'information historique et botanique, j'y sème des rosiers dans des buts expérimentaux et la grande diversité des variétés en présence suscite l'apparition de formes nouvelles très intéressantes. Il y a un peu moins de dix ans maintenant, je prenais rendez-vous à notre Ministère de l'agriculture en vue de m'informer sur les possibilités d'enregistrement de ces obtentions car je voulais qu'elles puissent être diffusées, commercialement ou non. L'important pour moi n'était pas d'en tirer du profit, mais plutôt de partager de jolies découvertes, qui plus est originales sur le plan génétique et pouvant intéresser tant l'amateur que le professionnel. Je me réjouissais donc de les "léguer à l'humanité", mais je me suis aperçu qu'il n'existait pas réellement de procédure pour introduire d'office une variété nouvelle dans le domaine public. Pour être protégée contre toute appropriation commerciale, elle devait être enregistrée et subir des examens coûteux. Je devais donc "payer pour donner"!
La réflexion qui suit m'a été inspirée par les nombreuses remarques que j'ai reçues depuis lors tant d'obtenteurs professionnels que d'obtenteurs amateurs. Je la dédierai à mon ami Louis Lens, disparu l'année dernière, qui à la fin de sa vie a obtenu une profusion de variétés aussi biologiquement variées et innovantes que magnifiques, mais n'en a plus guère enregistré, faute de moyens.

Développement humain et biodiversité

Le sommet de la Terre de Rio a suscité la prise de concience de la notion de biodiversité. Elle est une conséquence de l'évolution et qu'on le veuille ou non, nous en faisons partie, elle est en nous et nous en dépendons. L'homme n'"améliore" pas la nature dans le sens de la rendre meilleure en soi. Il réarrange certains éléments constituants de son environnement (au sens large ça peut aller du défrichage pour planter un potager jusqu'au transfert de gènes) de manière à rendre celui-ci plus facile à vivre ou plus agréable pour lui. Cela selon certains critères objectifs et subjectifs variables en fonction d'un environnement naturel, culturel et économique diversifié. Pour conserver à son action un avenir fécond et la souplesse nécessaire à la sécurité globale (c'est à dire la sienne et celle de la nature), il est tributaire de la diversité des ressources dont il dispose, qu'elle soient naturelles ou d'origine humaine. Par conséquent, les mécanismes directs ou indirects, volontaires ou non, pouvant agir sur l'amplitude de la biodiversité ou sur son occurence méritent d'être examinés en profondeur et de faire l'objet d'un contrôle et d'ajustements permanents. Ces mécanismes peuvent apparaître ou se développer n'importe où dans les activités humaines, et en particulier lorsqu'il s'agit de gérer ou d'organiser celles-ci. Pourquoi ? Simplement parce que l'être humain a une tendance naturelle à se simplifier la vie, et cela souvent au détriment du sens des nuances nécessaire à la perception de notions aussi complexes et non directement ni complètement appréhendables que l'infini de la biodiversité. Si le silence éternel des espaces infinis effrayait Blaise Pascal, la biodiversité, elle, n'a rien de silencieux. Elle n'arrête pas de nous parler, ...au point peut-être que certains feraient volontiers taire ce "bavardage" distrayant (parce qu'agréablement musical et juste un peu compréhensible) susceptible de nuire à leurs intérêts immédiats. Vouloir donner une dimension "finie" aux choses (et "en finir" avec elles de cette manière) est probablement l'une des nombreuses pulsions liées à la nature de super-prédateur de l'être humain. Toute pulsion menée à l'extrême, on le sait, peut devenir suicidaire!

De nouveaux enjeux pour l'enregistrement des variétés végétales

Si le législateur veut créer des conditions optimales de maintien de la diversité biologique dans le domaine de la production végétale, il doit aussi veiller au maintien de la diversité dans les formules de diffusion de celle-ci. L'un de ses devoirs est aussi de veiller à ce qu'une réglementation ne génère pas, ne fut-ce qu'à cause de détails de sa formulation d'effets pervers qui la détournent de ses buts au point de la dénaturer. Le mode de commercialisation via licence et royalties par exemple n'est qu'une formule parmi d'autres (1). L'enregistrement est peut-être compris trop exclusivement comme un simple passage obligé pour défendre les droits de commercialisation sur un produit et protéger les investissements encourus pour sa création (2).Un effet en retour de son coût étant que le système des royalties allié à un marketing agressif s'impose comme moyen de rentrer dans ses frais à tout qui veut enregistrer. Qui dit marketing dit produits peu variés et ciblés (difficile de "focaliser" l'attention sur la diversité), répondant à des cahiers de charges précis et dont les caractéristiques recherchées pourraient être de plus en plus souvent obtenues au moyen de technologies avancées (3) entourées de secrets de fabrication plutôt que par le processus humainement enrichissant (et génétiquement enrichissant aussi) et jubilatoire de métissages naturels et d'échanges relativement transparents entre obtenteurs. Sur ce plan jusqu'à présent, la possibilité légale de commercialiser de nouvelles variétés de rosiers sans les enregistrer (4), et "à ses risques et périls" contrebalance en partie les coûts élevés de l'enregistrement qui réservent celui-ci aux firmes à même de l'assumer financièrement et dont la biodiversité n'est pas toujours le premier souci.
Liberté, humanité, biodiversité devraient être à la base de tout processus d'obtention, d'enregistrement et de diffusion de nouvelles variétés végétales.



Évolution des technologies, allègement et amélioration de l'acuité de l'enregistrement

Dans l'idéal, la formule d'enregistrement des nouvelles variétés de plantes devrait se rapprocher de celle de l'enregistrement des oeuvres littéraires. Cela n'était pas possible jusqu'il y a peu simplement faute de moyens de comparaison adaptés au domaine de la biologie. La comparaison sur base morphologique utilisée encore actuellement nécessite des mises en culture étalées sur plusieurs années et des examens minutieux. Là où par contre l'enregistrement des brevets demandera encore longtemps des procédures de comparaison assez lourdes, la biologie dispose maintenant avec l'ADN d'un moyen de comparaison rapide, fiable et peu coûteux. Une extraction d'ADN coûte quelques Euros, une analyse comparative quelques dizaines, et de nouvelles technologies vont réduire rapidement ces coûts dans l'avenir. La voie est donc ouverte à un enregistrement dont la procédure de base serait un simple dépôt d'ADN analogue au dépôt légal d'un livre.

Proposition de procédure d'enregistrement

Il serait contre productif de se contenter de lamentations ou de dénigrements. Les propositions qui suivent visent à placer la personne humaine en tant qu'acteur non seulement économique mais également historique et culturel dans le processus d'enregistrement, ainsi qu'à y introduire la notion essentielle de biodiversité. L'implémentation des fonctionnements décrits dans la structure actuelle amènerait sans doute à une refonte de certaines de ses composantes, mais la structure elle-même et chacun de ses acteurs y verraient leurs rôles respectifs considérablement enrichis.

Utiliser une culture à propagation clonale telle que celle du rosier comme champ d'expérimentation de cette procédure serait peut-être indiqué car relativement peu complexe sur le plan technique. De plus, le côté emblématique de la rose serait susceptible d'attirer l'attention sur la problématique et donc de susciter plus efficacement le débat.

Description

N.B. L'organisme d'enregistrement peut travailler en réseau et par sécurité, de l'ADN d'une même variété peut être distribué en plusieurs endroits au sein du réseau. Le dépôt lui-même cependant ne peut se faire qu'une seule fois et en un seul endroit.

1. Dépôt d'un échantillon d'ADN de la variété nouvelle (*) auprès de l'organisme d'enregistrement. Le dépôt n'est pas obligatoire pour commercialiser une variété nouvelle, mais sans dépôt aucune garantie de protection ne peut être donnée. La variété nouvellement distribuée et non déposée est considérée comme n'appartenant ni au domaine public, ni au domaine privé.

i. Le dépôt en lui-même est gratuit ou son coût est modique (de l'ordre de quelques % du prix de l'enregistrement actuel ; maximum 5%) et est destiné à couvrir les frais de gestion administratifs.
ii. Le nom de l'obtenteur et l'appellation éventuelle qu'il donne à la variété (possibilité d'une appellation provisoire) sont immédiatement opérationnels et protégés. C'est la procédure de reconnaissance de "paternité intellectuelle" ; elle dénie à quiconque d'autre que l'obtenteur le droit de donner un autre nom à la variété, ou de s'attribuer sa paternité ou sa propriété selon les paragraphes b. ou c.. Cette procédure permet à chacun de s'intégrer à l'historique de l'évolution des plantes cultivées en tant que personne et pas seulement en tant que firme commerciale. Toute information historique, même relative à l'activité d'une seule personne a une valeur scientifique.
iii. Un registre public des variétés et de leurs détails d'enregistrement (ainsi que des profils des obtenteurs, des caractéristiques et de la phylogénie des variétés, s'ils le désirent) est accessible à chacun gratuitement via internet, et les variétés nouvelles y sont intégrées dans les délais les plus brefs (même éventuellement immédiatement lors de la procédure l'enregistrement si celle-ci est saisie de manière informatisée). L'information concernant chaque variété peut être complétée indéfiniment après le dépôt.

Lors du dépôt d'une variété nouvelle, l'obtenteur a le choix (uniquement) entre les trois solutions qui suivent (dans tous les cas les spécifications des points i., ii. et iii.sont d'application).

a. Il décide de la laisser distribuer et ou commercialiser librement et cette variété entre d'office immédiatement dans le domaine public. Pas de coûts supplémentaires.

b. Il décide de la laisser distribuer et ou commercialiser moyennant une licence comprenant certaines conditions mais qui ne l'autorise pas à percevoir des droits commerciaux (royalties). Un coût modique est ajouté pour couvrir les frais administratifs de gestion de la licence.

c. Il décide de la laisser distribuer et ou commercialiser moyennant une licence comprenant certaines conditions et qui l'autorise à percevoir des royalties. Même coût qu'en b. Vient s'ajouter une taxe fixe sur l'enregistrement de variétés avec autorisation de perception de royalties.

2. Différentes options non obligatoires sont proposées à l'obtenteur. Celui-ci n'est pas contraint non plus de les prendre dès l'enregistrement. Dans le cas particulier des sports et de mutations provoquées cependant, le passage par un examen d'uniformité et de stabilité repris au paragraphe 2a qui suit resterait obligatoire.

a. Soumission de la variété nouvelle à des examens de certification payants portant sur certains critères distribués selon des modules indépendants (chaque module pouvant être choisi séparément ; seuls les critères d'uniformité et de stabilité feraient éventuellement partie du même module). C'est ici que les structures actuelles chargées des examens jouent leur rôle et qu'interviennent les critères d'uniformité et de stabilité contenus dans les conditions d'enregistrement actuelles, mais il s'y ajoute des modules tels que la résistance aux maladies, la frugalité, l'adaptation à différents milieux, etc. Chaque module est payant séparément. Ces examens de certification ne doivent pas se substituer aux concours de roses existants, mais par contre des contrats de collaboration peuvent être pris entre les organisateurs de ces concours et l'organisme chargé des examens. La certification est à la fois destinée à apporter une plus value et à fournir des garanties et éventuellement des dédommagements sur base d'assurances aux acheteurs de la variété.

b. Dépôt gratuit de matériel vivant de la variété dans un conservatoire in-vitro. Ce conservatoire peut éventuellement mettre ce matériel à disposition sous forme de souches de multiplication en fonction des conditions des paragraphes 1a, 1b et 1c (autorisation requise ou non de l'obtenteur, contrat de licence, etc.) Un délai éventuel de plusieurs années avant mise à disposition est cependant envisageable afin d'éviter dans une large mesure les problèmes dûs à des dépôts ne répondant pas à toutes les conditions requises (délai de contestation).

( * Une procédure est à envisager pour le dépôt de variétés non nouvelles ; qu'il s'agisse par exemple de variétés anciennes ou traditionnelles. Afin d'éviter des abus d'appropriation par des firmes commerciales, toute facilité doit être donnée aux collectionneurs, associations et collectivités locales en matière de dépôt. De plus, le registre public mentionné en iii. est habilité à recueillir toute information phylogénétique, historique, sociale ou autre concernant chaque variété enregistrée).

Notes

1. Dans le domaine des logiciels informatiques ou dans celui de la musique, la formule impose une répression de la contrefaçon de plus en plus coûteuse, signe évident qu'elle est mal adaptée à un environnement en évolution.

2. Il pourrait se rendre utile à beaucoup d'autres choses et devenir un véritable outil d'accumulation et d'échange des savoirs, à condition d'être rendu moins coûteux, voire gratuit dans certains cas. Par exemple, il pourrait servir de support à la notion fondamentale de "paternité" intellectuelle, quasi complètement occultée par une notion amalgamante de "propriété" intellectuelle, qui se confond le plus souvent avec les droits commerciaux.

3. Encore qu'il ne faille pas incriminer celles-ci pour elles-mêmes mais plutôt pour les relents de monopoles commerciaux qu'elles véhiculent.

4. Au niveau des légumes, ce n'est plus le cas, et même les légumes anciens doivent désormais être enregistrés en Europe; ...imaginons un instant que toutes nos belles variétés anciennes de roses ne puissent plus être commercialisées ...!

ivan louette ; mis en ligne sur ce site le 9 janvier 2003

 

© Les Amis de la Roseraie du Val de Marne, ivan louette et Commune de Chaumont-Gistoux, 2003.
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